Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/68

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avant tout à retrouver l’esprit intérieur des modèles grecs pour le revivre et pour que l’œuvre nouvelle, non extérieure et froide, participe aux mêmes étincelles de vie. Mais le classicisme comporte aussi des fonds de critique et d’histoire : il consiste encore à voir du dehors la courbe et la suite classique, dans leur ligne et leur beauté, à les idéaliser non seulement parce qu’elles sont belles, mais parce qu’elles sont anciennes et révolues, non seulement parce qu’elles sont de la durée, mais parce qu’elles sont du passé. Son horizon s’embellit d’un temple, et d’une Apothéose d’Homère qui est bien celle d’Ingres. Et tout le long de son développement il a conservé ce caractère. Cet atelier de Génies où fut sculpté celui de Châteaubriand, il fut ouvert à Athènes, il est incorporé comme l’atelier de Phidias au cœur et au corps d’Athènes, et nulle part ailleurs qu’à Athènes ne pouvaient naître cette lyre de la sensibilité et cette plate-forme de l’intelligence. N’est-ce du même fonds dont vous haïssez Chateaubriand que vous mésestimez Isocrate ? Peut-être pas. Mais enfin cet Isocrate dont les cent ans de vie forment le beau palier incliné par lequel l’Athènes de l’Acropole descend vers l’Athènes panhellénique, comme les cent ans du Fontenelle ménagent du siècle chrétien et français à l’autre un bel escalier du même ordre, Isocrate a écrit dans le Panégyrique d’Athènes un Génie d’Athènes, à l’idée duquel son panhellénisme se mêlait assez naturellement. N’oubliez pas que si le Génie du Christianisme est le premier et l’aïeul parmi les Génies du siècle, il a eu lui-même pour précurseur emphatique et desséché les Ruines de Volney, dont la génération de Châteaubriand a su par cœur les pages où apparaît précisément et parle le Génie des Ruines…

Peut-être voyons-nous maintenant s’énoncer les mesures et se dessiner la ligne du chœur où se répondent et s’enchaînent nos cinq Épigones. Pour que naquît le Génie du Christianisme, il fallait que le christianisme subsistât dans l’âme de Châteaubriand à l’état d’hérédité, à l’état de goût, à l’état de beauté, mais qu’il fût en voie de se détacher, en disposition secrète de s’en aller sur les terrasses sensuelles et savantes d’où s’attendrir et s’émerveiller. Il fallait un mécontentement et une contradiction intérieures, où même les esprits simplistes ont vu de la simple dissimulation, de la manière dont Sarcey trouvait en l’auteur du Culte du Moi un pur fumiste. On demandait à connaître le confesseur de M. de Châteaubriand (qui répondait en donnant son adresse) et Courier l’approuvait de marcher au moins son masque à la main. Aujourd’hui que la critique avisée sait ce que