esthétique, lorsque, libéré de la matière, de la réalité, de la loi par laquelle il presse et soumet l’homme, il n’est qu’un édifice qui va être contemplé du dehors dans son histoire et sa majesté, et non plus dans sa durée suivie et vécue, mais dans sa durée arrêtée et fixée, dans l’image définie et définitive qui demeure, s’équilibre et s’ordonne. Martigues vu de la digue, de la digue neuve, utile et laide. La digue d’où Chateaubriand a vu le Christianisme asseoir sa blanche stature, ouvrir ses ailes lumineuses et roses comme votre Martigues dans le crépuscule, c’est la Révolution. Il fallait qu’il eût la Révolution sous les pieds, et dans sa chair et dans son sang, et le Christianisme, et la monarchie et toute la magnificence d’un passé dans un rêve matériel et dans des prunelles visionnaires. Il fallait que de réalités intérieures la religion, l’Église et le Roi devinssent des réalités décoratives et plastiques. Vous l’avez pour cela interpellé avec âpreté : « Race de naufrageurs et de faiseurs d’épaves, oiseau rapace et solitaire, amateur de charniers, Chateaubriand n’a jamais cherché, dans la mort et dans le passé, le transmissible, le fécond, l’éternel : mais le passé, comme passé, et la mort, comme mort, furent ses uniques plaisirs. Loin de rien conserver, il fit au besoin des dégâts, afin de se donner de plus sûrs motifs de regrets… Cette idole des modernes conservateurs nous incarne surtout le génie des Révolutions[1]. » Si vous transportez à ce génie la majuscule du Génie du Christianisme, et la figure de personnification plastique qui en arrête à un tournant panoramique la définition (vous souvenez-vous, à la sculpture antique du Louvre, de cette figure assez médiocre à laquelle les catalogues donnent le beau nom de Génie du Repos éternel ?) peut-être vous paraîtra-t-il que le Génie des Révolutions se définit loin des Révolutions, sur la digue du conservatisme, et que la monarchie de Louis-Philippe n’était pas un mauvais belvédère pour que Thiers, Tocqueville, Michelet, Lamartine en arrêtassent les contours. Tartarin-Sancho n’existe bien que de la route où ahanne Tartarin-Quichotte, et Tartarin-Quichotte n’atteint toute sa réalité que du lit où Tartarin-Sancho savoure son chocolat.
Vos lignes de tout à l’heure caricaturent simplement une figure nécessaire de tout développement humain supérieur, dans notre Occident, depuis que la Grèce nous a fourni les moyens et le désir de l’idéalisation plastique, — un des deux moments du rythme qui gouverne même tout classicisme. Evidemment le classicisme consiste
- ↑ Trois Idées Politiques, p. 14.