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la pensée eut de si beaux jours à la Cocarde barrésienne de 1894, n’a pas manqué de le rappeler lui-même, et, mieux encore, dans l’Enquête il écrivait :

« Ce n’est qu’une petite synthèse à déterminer. Les éléments sont en présence.

« La royauté doit être traditionnelle : il y a justement une orientation toute neuve des esprits, favorable à la tradition nationale, et, comme dit Barrès, aux suggestions de notre terre et de nos morts.

« La monarchie doit être héréditaire : il y a un mouvement favorable à la reconstitution de la famille, fondement de l’hérédité.

« La monarchie doit être antiparlementaire : Le parti nationaliste, presque tout entier, se prononce contre le parlementarisme en faveur d’un gouvernement nominatif, personnel, responsable.

« Enfin la monarchie doit être décentralisatrice : un puissant mouvement décentralisateur se dessine et grandit de jour en jour dans le pays[1]. »

L’idée monarchique donnait son sens, son but, sa définition à tout le nationalisme, qui devenait par elle intégral. Pour créer ainsi un mouvement intellectuel, pour provoquer une réflexion, réunir un public et déterminer une action autour d’une idée, M. Maurras était désigné par deux qualités précieuses. D’abord la netteté d’intelligence qui permet de concevoir et de réaliser solidement cette idée, de l’asseoir et de la définir complète comme un sculpteur fait d’une statue achevée. Puis l’idée étant ainsi constituée dans son Olympe, comme un domaine spirituel concret et parfait, le goût de la mettre en relation avec les hommes par une pente abrupte du côté des principes, inclinée et douce du côté des faits. Ainsi Comte, dont M. Maurras rappelle si souvent le tour d’esprit, se déclarait, en une ligne froidement présentée par lui comme un vers alexandrin

Conciliant en fait, inflexible en principe.

En principe M. Maurras aime la discussion, provoque la discussion, se meut en elle comme dans son élément, mais avec la décision et la certitude de ne pas relâcher une ligne de ses principes ; il concevra la discussion ainsi qu’un moyen de prosélytisme à l’égard d’autrui, jamais comme un moyen de réforme pour lui-même. Rien, comme

  1. Enquête, p. 181.