Dix ans après, changement complet. Toute la substance pendante du socialisme, à laquelle le verbe sonore de Jaurès donnait un corps apparent comme cette nuée qu’embrassait Ixion s’est écoulée, a disparu. Il ne reste qu’un parti dont la place intellectuelle est devenue très faible dans le temps même où sa place parlementaire s’accroissait si vite. Aujourd’hui il n’y a pas besoin d’être royaliste pour constater que la doctrine de M. Maurras est la seule qui réunisse un public, une jeunesse autour d’idées, autour d’une idée. Dans l’Action Française et la Religion Catholique, parue en 1913, M. Maurras pouvait écrire avec droit : « Voilà quinze ans que nous sommes les seuls conservateurs à connaître ce phénomène d’avantages et d’accroissements continus. » et « Le ton du jour est d’invoquer l’autorité, la continuité, l’ordre, l’organisation professionnelle, en bref le contre-pied du formulaire libéral. Le prestige perdu par la Révolution est allé à la tradition, l’activité perdue par les idées démocratiques anime aujourd’hui les doctrines que l’on peut appeler archistes. Cela est l’œuvre propre de l’Action Française[1] » Mais l’Action Française est un peu aussi l’œuvre de cela.
Quelle qu’ait été dans l’influence et dans l’action de M. Maurras la part de son idée monarchique, en tous ses caractères d’unité, de simplicité, de fécondité, je crois que cette idée n’aurait donné que des fruits mal venus si les livres de M. Barrès ne leur avaient ouvert la voie, ne les avait sollicités et provoqués à la lumière. Il serait exagéré de dire que M. Barrès a formulé une philosophie nationaliste. Mais enfin l’auteur d’Un Homme Libre et des Déracinés a créé par ces deux livres dans toute une génération l’état d’âme, les dispositions sentimentales et l’orientation intellectuelle dont devaient bénéficier Trois Idées Politiques et l’Enquête. Cela d’ailleurs, M. Maurras, dont
- ↑ L’Action Française et la Religion Catholique, p. 4-5.