Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume II.djvu/166

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sentiment de la dignité ! cette morgue anglaise ! cette respectabilité qui n’abandonne pas son Spencer lui-même ![1] » Ajoutons que M. Barrès vit alors dans le culte de Michelet, et qu’il figure en Simon le moqueur qu’il porte en lui pour rire de ses expériences. Étudiant de la rue Saint-Guillaume, Simon « est un historien d’une réserve extrême. Il collectionne et cite les petits faits, sans consentir à recevoir d’eux cette abondante émotion qui pour moi est toute l’histoire[2]. » Un type équilibré et court « intéressé par la vie (amour des forêts et du confort) et la précision scientifique (philosophie anglaise)[3]. »

Simon, c’est la partie calleuse et sèche de la sensibilité de M. Barrès. Un Homme Libre la définit, l’éclaire, la liquide. Simon, quand il reparaît dans le Jardin de Bérénice, comprend « encore ce qu’est la vie intérieure, mais il ne croit plus qu’aux satisfactions des choses… C’est là que j’avais été sur le point d’en arriver[4]. » Dans la lettre qui termine Un Homme Libre et qui fait pendant à celle de Sénèque à la fin du Jardin, nous assistons au Qualis artifex pereo de Simon, qui précède d’un livre celui de Philippe : « Vous êtes entré dans une carrière régulière ; vous utiliserez notre dédain, qui nous conduisit à Jersey, pour en faire de la morgue de haut personnage ; notre clairvoyance, qui fit nos longues méditations, deviendra chez vous un scepticisme de bon ton ; notre misanthropie, qui nous sépara, une distinction et une froideur justement estimées de ce monde sans déclamation où vous êtes appelé à réussir. Nul doute que vous n’arriviez à proscrire pour des raisons supérieures ce que le vulgaire proscrit, et à approuver ce qu’il sert[5]. » Il paraît ici que cette carrière régulière est tout simplement la Carrière, pour laquelle l’ancien élève de la rue Saint-Guillaume est bien indiqué. Mais, dans le Jardin, Simon affirme décidément sa vraie destinée ! « Moi, dit-il, je me fais hobereau après avoir médité sur les autres vies et parce que c’est encore de celle-ci que s’accommode le mieux mon dégoût d’effort et ma pénurie d’argent[6]. » Philippe, lui aussi, va faire une fin : le jardin se termine sur la demande de concession d’un hippodrome suburbain, parce que s’en accommodent

  1. Un Homme Libre, p. 145.
  2. Id., p. 128.
  3. Id., p. 42.
  4. Le Jardin de Bérénice, p. 78.
  5. Un Homme Libre, p. 224.
  6. Le Jardin de Bérénice, p. 74.