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son goût de réussite et son besoin d’argent. Mais le hobereau constituera une valeur durable dans la littérature barrésienne, et Galland de Saint-Phlin tournera au bien, à la satisfaction de sa grand’mère et à l’édification de Sturel un état où M. Barrès arrête en Simon ce que, par manque de foi en lui-même, il a pu craindre de devenir : de l’individualisme à bout de souffle, et de l’égotisme en liquidation.

III
BÉRÉNICE

Le Jardin de Bérénice est le livre le plus complexe et le plus délicat de M. Barrès. La création de Bérénice émerveilla en son temps les plus raffinés. Moréas y retrouvait la manière de conter de nos fabliaux, ce en quoi il se trompe ; mais la subtilité, la complexité et la vie des allégories y rappellent le Roman de la Rose. Nous sommes bien dans le musée du roi René. Si la rose allégorisait l’amour, Bérénice allégorise le Moi au moment où, comme une chaîne de montagnes sous le couchant, il va prendre avant de s’éteindre toute sa gamme de nuances et de pierreries, — le Moi dans tout son beau jardin d’émotions, sa réceptivité féminine. « Telle que j’ai imaginé cette fille, elle est l’expression complète des conditions où s’épanouirait mon bonheur ; elle est le moi que je voudrais devenir. Or pour une âme de qualité, il n’est qu’un dialogue, c’est celui que tiennent nos deux moi, le moi momentané que nous sommes et le moi idéal où nous nous efforçons[1]. »

Ce moi idéal où s’efforce M. Barrès avant de se résigner au Qualis artifex pereo, il le compose avec des plans d’images sympathiques, des symboles différents et qui s’éclairent les uns les autres, s’associent et se muent comme les teintes d’une même couleur.

Image de ce qu’est Philippe, mais image aussi de ce qu’il n’est pas : c’est-à -dire image de ce qu’il est en rêve et en pensée, de toute une délicatesse sentimentale à laquelle il renonce par l’impossibilité de la

  1. Le Jardin de Bérénice, p. 118.