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Bouteiller, missionnaire de l’État, était venu à Nancy pour faire de ces jeunes gens des hommes. Avec beaucoup de déchet, avec un peu de succès, ils ont tenu, le maître et les élèves, un rôle dans un moment de la vie française, ils ont été cette vie elle-même. Ils en ont poussé les puissances sur ce théâtre où de grandes idées vêtues de blanc purifient tout avec le rameau lustral de l’intelligence, conservent la noblesse de quiconque les a servies de toute son âme, permettent de voir, malgré tout, un Bouteiller et un Sturel, « déracinés, désencadrés, mais non dégradés ».

IX
RŒMERSPACHER

M. Barrès, qui a versé dans Sturel, sans la décanter, toute sa sensibilité, semble avoir figuré en Rœmerspacher certains points un peu froids ou morts de sa pensée, sa bonne conscience intellectuelle, sa raison. Nous portons tous ainsi en nous une sorte d’aîné de nous-mêmes, de délégué au Video meliora. L’homme de santé physique et morale, de labeur, de suite et d’équilibre, s’oppose au nerveux et discontinu Sturel. Avec Saint-Phlin et Suret-Lefort il représente dans les sept le noyau solide de ceux qui réussissent, se construisent une vie, une maison, avec un coup d’œil sûr et un bras solide. Ce gros garçon roux, fort et franc, demeure toujours de sang-froid, se possède comme un beau domaine moral, d’un seul tenant, étendu sous ses regards et bien administré. De même que Sturel, « enfant des femmes », n’a presque pas connu son père, Rœmerspacher se souvient à peine de sa mère, n’a connu dans sa famille que des hommes, des Lorrains solides, terriens et soldats.

Ce Lorrain de nom et de carrure germanique a certaines qualités de l’Allemagne. Il est étranger aux délicatesses nerveuses d’un Sturel, mais son cerveau organise tout, lui fournit abondamment ce liant, ce ciment qui manquent à Sturel comme à M. Barrès, et qu’excluent certaines pointes fines d’émotion. « Gros travailleur, fort mangeur,