Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume II.djvu/227

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dans la lettre qu’écrit Saint-Phlin à Sturel à la fin de Leurs Figures et qui est développée dans les Amitiés Françaises. Ce bon Saint-Phlin qui, au lycée, était volontiers dernier et qui s’en consolait en disant qu’il faut bien un dernier, fait, comme Velu II, dans un domaine de vie heureuse et spontanée fonction de moniteur. Il ne garde en somme de liaison suivie qu’avec Sturel, à l’imagination duquel son nationalisme lorrain fournit à la fois un contrepoids et une nourriture. Les autres se moquent ordinairement de lui, depuis l’affreux Mouchefrin qui l’insulte jusqu’à Rœmerspacher, « rude travailleur qui parle d’un hobereau spiritualiste » et qui dit : « Je n’ai jamais imaginé d’effort plus consciencieux pour rester en arrière de la transformation française[1]. » S’il fait quelques études à Paris, il ne se déracine pas du tout, il reste authentiquement l’homme de la terre de Saint-Phlin. M. Barrès reproche à Bouteiller d’avoir voulu l’envoyer à Saint-Cyr au lieu de le laisser à Saint-Phlin. Mais Bouteiller en a donné, devant ses camarades, cette belle définition : « C’est un bon Français, que le pays trouverait au jour du danger. »

En ce temps-là d’ailleurs le danger est heureusement loin, car Saint-Phlin, fils aîné de veuve, ne portera pas plus l’as de carreau que le casoar. Bon Français, donc, mais ainsi que le dit M. Barrès des membres de la Patrie Française, bon à quoi ? Bon à demeurer chez lui, à être Lorrain, et, comme Mac-Mahon en donnait à un homme d’une race plus humble le conseil, à continuer.

Il est, des sept Lorrains, le délégué à la continuité. M. Barrès se flatte d’avoir trouvé une discipline dans les cimetières où ses prédécesseurs divaguaient. Ayant pas mal suivi sur ce terrain ses prédécesseurs, il a chargé Sturel, fils de Rousseau, de ses divagations, et Saint-Phlin de sa discipline. « Si je voyageais seul, dit Sturel, je visiterais tous les cimetières sur ma route. » Et Saint-Phlin lui répond : « Tu trouves ta poésie à te considérer comme un prolongement et jamais comme un point de départ. Dès le début de notre voyage, j’ai vu ton imagination se fixer chez les morts. L’idée que le sol où tu naquis prendrait une figure inconnue de tes ancêtres te choque gravement. Pour moi… je suis un optimiste décidé… Je n’ai jamais senti dans les cimetières cette odeur du néant où tu t’abîmes. J’y vois l’arbre de la vie et ses racines y soulèvent le sol.[2] » M. Barrès ne nous

  1. L’Appel au Soldat, p. 400.
  2. Id., p. 361.