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pourrait s’appuyer le deuxième boulangisme, qui devait naître inévitablement, et que les serments de vengeance de M. Barrès devaient le conduire à provoquer le plus vite possible.

De là ce qu’il a appelé, avec un luxe excessif d’images guerrières, « le terrible psaume nationaliste ». « Doublons et redoublons ! disais-je. Dreyfus, Panama, Dreyfus ! Nous avons combattu deux fois, nous avons lancé la francisque à deux tranchants. Oui, comme nos pères de la légende, pour s’entraîner, entonnaient le bardit : Pharamond ! Pharamond ! je répandais la double complainte : Dreyfus et Panama[1]. »

Le Panama et l’affaire Dreyfus semblent en effet avoir été suscités, au mieux des convenances de M. Barrès, pour satisfaire à ses deux entreprises : le Panama pour lui fournir une vengeance et l’affaire Dreyfus pour lui permettre de créer une doctrine.

« Entre toutes les haines, la plus intense, la plus belle, la reine des reines enfin, c’est celle qu’exhalent les guerres civiles, et que j’entrevis, en décembre 1892, aux couloirs du Palais-Bourbon[2]. » Il s’agissait du Panama, et des scandales où le monde parlementaire allait laisser quelques plumes de la queue de paon qu’il étalait orgueilleusement et oratoirement en faisant la roue après la débâcle boulangiste. Précisément les boulangistes, derrière Delahaye, menaient l’assaut. L’assaut n’alla pas bien loin. Baïhaut et quelques vagues comparses restèrent seuls sur le carreau. M. Barrès avait rêvé autre chose, les artichauts de fer du Palais-Bourbon cueillis par la poigne populaire, un retour favorable de l’occasion manquée le 27 janvier 1889. « Ceux qui connurent une fois les ivresses populaires ne peuvent rêver sans battements de cœur ce que serait une pareille journée !… Souhaitons que dès cette minute les choses se concluent avec un minimum de brutalité, et, par exemple, qu’on se contente de tremper à la Seine les parlementaires comme des chiens qu’on veut épucer sans les noyer[3]. » M. Barrès paraît d’ailleurs nous prévenir que ce jour-là les soins de sa documentation littéraire l’empêcheront d’intervenir pour abréger le bain de ses collègues. Voyez, dans Leurs Figures, cette épigraphe au chapitre de La dernière Charrette. « Le peintre David dessinant dans une prison pendant les massacres de septembre, dit à

  1. Scènes et Doctrines, p. 1.
  2. Du Sang, p. 85.
  3. L’Appel au Soldat, p. 209.