Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume II.djvu/293

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quelqu’un qui le lui reprochait : j’observais les derniers mouvements de la nature chez ces scélérats ».

Moins heureuses que l’Histoire des Girondins, Leurs Figures n’ont point passé dans la rue. Elles sont restées, avec le livre de Lamartine et l’Histoire de la Révolution de Michelet, dont elles sont inspirées, le chef-d’œuvre d’un genre particulier au livre, à la presse, à la mentalité françaises, et que j’appellerai la théâtrocratie parlementaire. Au contraire des Chambres anglaises, vraies « chambres » où les députés, sont chez eux, le chapeau sur la tête, les Assemblées françaises, suivant une tradition révolutionnaire, ont volontiers fourni de belles images de théâtre et de cirque que les connaisseurs désignaient sous la Révolution par de simples dates de calendrier : 31 mai, 9 thermidor, 18 brumaire. La Convention qui avait la guillotine dans ses coulisses, les tricoteuses dans ses loges et de grands acteurs sur sa scène, a poussé le genre à sa perfection dramatique. Sous la troisième République le peuple a demandé volontiers à ses représentants de lui fournir ces spectacles de cirque. Une grande séance, avec ses coqs habituels, ne va pas sans un poulailler de spectatrices. Leurs Figures ce sont les figures qui paraissent sur une scène bien éclairée. Avant la Journée de l’Accusateur, « à cinq heures, on crut entendre les trois coups de rideau pour l’ouverture d’un drame que tout le monde annonçait sans connaître les collaborateurs ni le scénario »[1]. Mais le théâtre paraît fade à la haine de M. Barrès, et les images qui reviennent sans cesse dans Leurs Figures sont celles de la course de taureaux.

« Au Palais-Bourbon, dit M. Barrès pendant un entr’acte de modération, le psychologue trouve une collection complète d’individus propres à lui rendre intelligible, région par région, la nationalité française[2] » D’ordinaire c’est à un musée non ethnographique, mais zoologique qu’il se plaît à comparer le Parlement. Bouteiller écoute les députés dans les groupes, et s’éloigne « comme un promeneur, ayant considéré un instant les bêtes du Jardin des Plantes, s’éloigne sans leur donner son avis. »[3] Comme Démosthène demandait à la mer retentissante une image du bruit de l’Agora, M. Barrès, dans la Grande Pitié des Églises de France, va composer au Jardin des Plantes lui-même les discours par lesquels il essayera d’émouvoir les âmes sur les églises de village.

  1. L’Appel au Soldat, p. 103.
  2. ld., p. 5.
  3. ld., p. 184.