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VI
LA RELIGION

M. Barrès a toujours paru occupé vivement et voluptueusement des choses religieuses. Il prend place dans le courant de sensibilité qui se rattache à Rousseau et à Chateaubriand, dans le romantisme religieux qui trouve même une de ses pointes bizarres en Huysmans. Évidemment M. Barrès nous fait songer d’ordinaire à Chateaubriand. Il appartient à la descendance du Génie du Christianisme dont il a écrit un commentaire contemporain dans la Grande Pitié des Eglises de France. Mais on peut légitimement s’amuser à voir dans la ligne qui va de M. Folantin à Durtal une image un peu caricaturale de la ligne qui réunit les figures religieuses du Culte du Moi aux pompes officielles de la Grande Pitié et de la Colline Inspirée. Une destinée singulièrement préconçue a voulu que dans la Gazette du Mois du premier numéro des Taches d’Encre, M. Barrès écrivît, à propos d’un article de Renan sur Amiel : « Comme elle repose des brutalités du journal, des aménités de la politique, cette souriante hypocrisie des sceptiques ! Et que nous chérissons tout cela ! Dans vingt ans nous tendrons les bras à quelque catholicisme un peu modifié. »

À cette époque, la façon dont autour de lui on tendait déjà les bras à ce catholicisme excitait son ironie. Quand il souriait de l’encrier de Chateaubriand posé sur la table de travail de M. de Vogüé, se doutait-il qu’il était désigné comme l’héritier de ce meuble ? Dans Trois stations de psychothérapie, il signalait « une confusion, fort à la mode aujourd’hui, entre la sensibilité de nos délicats et le sentiment religieux. D’ailleurs nos néo-catholiques ne sont que des esprits vagues auxquels il ne convient pas de prêter plus d’importance qu’à la tasse de thé où ils se noieront[1] » Il ne faut jamais dire : Théière, je ne prendrai pas de ton thé.

  1. Trois Stations, p. 84.