Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume II.djvu/321

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rès devient exotérique et se tourne dans le sens de l’institution, ils s’accordent tant bien que mal dans l’idée soit d’une discipline choisie librement, soit d’une discipline accordée avec une tradition et avec des vénérations. Mais les impasses auxquelles ces idées aboutissent nous font connaître en elles autant de balbutiements, qui pourtant ne trompent pas parce qu’ils concourent à nous désigner l’Idée cachée dans sa grotte ou voilée de ses nuées.

« La vie n’a pas de sens. Je crois même que chaque jour elle devient plus absurde. Se soumettre à toutes les illusions et les connaître nettement comme illusions, voilà notre rôle. Toujours désirer et savoir que notre désir, que tout nourrit, ne s’apaise de rien ! Ne vouloir que des possessions éternelles et nous comprendre comme une série d’états successifs ! De quelque point qu’on les considère, l’univers et notre existence sont des tumultes insensés.

« Pour vaincre la vie et triompher du découragement, il faut régler la culture de nos sentiments et de nos pensées. Il s’agit de concevoir une sage économie de nos forces, d’organiser notre énergie et de sortir d’un désordre barbare pour l’accomplissement de notre destin. De là le choix systématique des images que je propose à un jeune Français. »

Je tire ces lignes du dernier chapitre des Amitiés Françaises, le Chant de Confiance dans la Vie. Du Culte du Moi j’en tirerais d’analogues, où les termes seraient changés, où le rapport des termes resterait le même. Les deux thèmes opposés y seraient transportés sur une montée de jeunesse et d’âpreté, alors qu’ils épousent ici la descente et les rayons d’automne de la maturité. Mais le rapport de la vie et de la discipline, vie et discipline étant alors elles-mêmes autres, subsisterait. On serait tenté de ne voir en ces lignes, ou en d’autres analogues, que d’harmonieux lieux communs. Prenez-les comme ces programmes de symphonie qu’on distribue au concert, construisez sur elles toute la musique barrésienne dont ce livre a essayé de discerner les motifs — éprouvez ce que c’est qu’un homme qui se fait lui-même symphonie pour fixer comme un être et développer en une verte nature, en un paysage de notre planète morale, l’aridité de ces lieux communs.

Comme une terre de l’âge primaire impose les lignes de fracture que suivront encore les vallées secondaires et tertiaires, un Gœthe et un Chateaubriand ont fixé des traits que ces paysages de M. Barrès suivent encore avec docilité. Utiliser ses émotions au lieu de les subir, ne point répandre au dehors le trouble de son cœur, mais purifier ce trouble par l’ordre contemplé du dehors, imposer Hermann et Dorothée à