Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume II.djvu/55

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Larmes, tristesse, figurent la détente âpre et brusque d’une cruauté tendue, d’une sécheresse frémissante. Mais, après le Roman de l’Énergie Nationale, l’œuvre de M. Barrès se déploie, d’un certain point de vue, comme une autre détente, plus lente, plus douce, inclinée sous des présences d’intelligence et de paix. Dans sa jeunesse, raconte-t-il, un moine de Monte-Oliveto lui donna à choisir entre deux devises. « Pax aut Bellum ! m’a dit le solitaire de Monte Oliveto. J’ai répondu : Bellum ! Aujourd’hui je connais la stérilité de ces luttes… Après trente années la voix du vieil homme s’est fait accueillir : les cordes qu’elle devait frapper se sont mises à vibrer, et l’enthousiasme qui me disposait à une vie dangereuse se résout en une nostalgique aspiration à l’harmonie »[1]. Avec l’âge M. Barrès est passé de ce que Nietzsche appelait le dionysiaque à l’apollinien, de l’esthétique directe du cirque à l’esthétique idéalisée du théâtre, — et, somme toute, de Tolède, de Venise et de Sparte à Athènes. Dans cette Colline Inspirée qui figure parmi les livres de M. Barrès le clocher aérien, et qui en est la couronne comme il y a à Coutances la Couronne de Normandie, ce n’est pas un hasard, c’est un symbole, que revienne si obstinément le motif du théâtre : « C’est ici l’un des théâtres mystérieux de l’action divine et l’un des antiques séjours de l’Esprit ». « La colline apparaissait de loin comme le plus rare des tréteaux, où des scènes de miracle se joignaient à une véritable comédie. Et pour achever d’intéresser le populaire, voici que des effets de drame s’annonçaient. » « La Reine éternelle de Sion… goûtons-la dans un décor qui varie des diamants d’une gelée d’hiver aux illuminations d’un coucher de soleil en automne. » « Cette nuit de Sion formait un vaste drame musical où, sur le fond d’un large motif de religion éternelle, se détachaient le chant catholique des Oblats et le thème en révolte de Léopold. » Les images espagnoles de la corrida ont fait place aux images grecques du théâtre. On dira que les unes étaient littérairement à leur place dans Leurs Figures et que les autres le sont de même dans la Colline. D’accord. Mais le passage d’un sujet à l’autre, c’est précisément le passage de la guerre à la paix, du cirque au théâtre, de la sensibilité à l’intelligence. La Grande Pitié des Églises de France s’oppose même à Leurs Figures comme une Grande Pitié des Parlementaires. M. Bouffandeau y est incorporé à une amitié nationale, et les cruautés de la corrida pana-

  1. La Grande Pitié des Églises de France.