Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume II.djvu/59

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mental, héréditaire, c’est du vieil inconscient… Il n’y a pas d’esprit libre »[1].

Entre ces deux figures de son intelligence il y a tout un ensemble de rapports, de problèmes, de vire-voltes qui en font le mouvement et la vie. C’est dans le pays de l’intelligence, en Grèce, que la question s’est posée particulièrement à lui et que des puissances de logique, rencontrées par lui à Athènes, l’ont sommé de choisir.

M.  Barrès a appelé son voyage en Grèce le Voyage de Sparte. Si Athènes l’a déçu, Sparte a touché son cœur. Il en a dit avec une grande honnêteté et en des pages très belles la raison.

Plus encore que Sparte, Mistra, la ville franque morte, la fleur champenoise et byzantine dont les racines se nourrissent dans la plaine de Laconie, fut le grand enchantement de son voyage. « Cette montagne, dit-il de la colline de Mistra, est construite comme une intelligence. Des débris de toutes les époques et des races les plus diverses y prennent une couleur d’ensemble ; ils sont tapissés, reliés par un lierre vigoureux où bourdonnent les abeilles »[2].

M.  Barrès n’écrit pas : construit comme mon intelligence, — mais comme une intelligence. Et en effet c’est cette même figure composite de la colline de Mistra qu’il voudrait voir à l’Acropole d’Athènes pour y aimer une intelligence vivante. On a reconnu la question de la tour franque. « Ce Parthénon incongru (avec la tour franque) dit-il aigrement à l’archéologue classique, était justifié par l’histoire. Il n’était pas plus absurde que mon cerveau, où des parties grecques et romaines sont associées à une première conception celtique »[3]. L’impérialisme néronien de M.  Barrès se refuserait-il à admettre que le Parthénon pourrait fournir tout de même à l’humanité — fût-ce celle d’aujourd’hui — un état de pensée je ne veux pas dire moins absurde, mais plus logique, mieux lié, plus semblable à l’Idée de l’intelligence produite par les philosophes grecs, que le cerveau de M. Barrès ? Ce cerveau qui se reconnaît dans la colline de Mistra ne veut pas que l’Acropole d’Athènes relève d’une autre esthétique, d’une autre intelligence que le composite greco-français. Ne pouvant plus faire beaucoup d’individualisme en France, sinon avec une mauvaise conscience, il est allé en faire avec une conscience allègre contre Athènes. « Les

  1. L’Appel au Soldat, p. 359.
  2. Le Voyage de Sparte, p. 247.
  3. Id., p. 73.