Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume III – TI.djvu/126

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
112
LE BERGSONISME

IV
LA PERCEPTION

Nous nous souvenons parce que nous durons, et notre être, pour une philosophie de la durée, se confondrait avec notre mémoire si cette philosophie de la durée n’allait à une philosophie de la liberté. Mais Matière et Mémoire nous indique par son titre à figure dualiste que la mémoire ne saurait figurer pour la vie psychologique un principe exclusif d’explication. Le bergsonisme est au contraire une réaction contre les doctrines des psychologues modernes qui ont presque tous composé le monde extérieur avec des éléments inétendus empruntés au monde intérieur. En apparence M. Bergson pousserait ici le matérialisme aussi loin qu’Épicure. Il y a pour lui une perception pure qui fait corps avec l’existence du monde et qui est un phénomène physique bien avant d’être un phénomène psychologique. Pas un point de l’univers matériel qui en un certain sens ne perçoive le reste de l’univers, c’est-à-dire dans lequel ne soit présent l’univers tout entier, puisque la matière ne s’explique que comme interaction. Cette perception pure, qui se confond avec la présence de la matière, serait, si l’on veut, une intuition par sa forme, la connaissance de l’objet se trouvant ici identique à l’objet, mais non une intuition par son contenu, puisque l’intuition est connaissance dans la durée, et que la perception pure, identique à la matière, est instantanée, mens momentanea.

La perception s’explique donc, en principe, par un procédé habituel à M. Bergson — et qui a son analogue dans Spinoza — Ce procédé consiste à se placer au point de vue d’un tout de droit, pareil à la substance spinoziste, et dont l’objet à expliquer constituerait un mode relatif à notre action. Ici le tout de droit serait cette présence universelle ou ce présent universel de la matière. Images « indifférentes les unes aux autres en raison du mécanisme radical qui les lie, elles se présentent réciproquement les unes aux autres toutes leurs faces