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LA LOGIQUE DU VRAI

amusement de l’intelligence, fournirait à la philosophie le contact même avec l’être.

L’association par ressemblance, qui fait corps avec le mécanisme de notre pensée, fait corps aussi avec la production de nos erreurs, et la dissociation d’idées consistera alors à découvrir les fausses ressemblances. Ici encore la faculté de dissocier est liée à l’exercice du bon sens, à l’intuition qui, avant même que nous ayons raisonné, nous fait dire : « Ce n’est pas la même chose. » L’esprit de géométrie pense souvent par des associations de ressemblances : « C’est la même chose que… » L’esprit de finesse pense par des dissociations de ressemblances : « Ce n’est pas la même chose que… » L’esprit philosophique dit : « Ce n’est pas la même chose que… Mais voici pourquoi cela paraît la même chose que… » L’association par ressemblance nous donne la faculté de généraliser, nous fait penser le général. Mais le bon sens nous oblige sans cesse à reconnaître le particulier dans le général et à dissocier ce qui est associé. Et le bon sens inutile, c’est-à-dire la philosophie, s’applique d’abord à dissocier cette idée du général. Lisez dans l’Évolution Créatrice les pages lumineuses où M. Bergson dissocie la généralité des genres et la généralité des lois, deux idées très distinctes que nous associons ou plutôt que nous confondons dans une idée générale. Cette confusion, explique-t-il, consiste à « grouper sous le même concept deux espèces d’ordre qui se ressemblent simplement par la facilité qu’ils donnent à notre action sur les choses[1] ». Cette confusion peut d’ailleurs se faire au bénéfice des genres comme c’est le cas de la philosophie antique, ou du point de vue des lois, comme c’est le cas de la philosophie moderne. À la limite de la première est une philosophie des Idées, à la limite de la seconde le mécanisme. Les anciens ont traduit le physique en vital et les modernes le vital en physique. Dans les deux cas on a philosophé en unifiant, unifié en associant, associé en confondant. Le bergsonisme s’efforcera de philosopher en distinguant, de distinguer en dissociant, et d’expliquer non seulement pourquoi il faut dissocier, mais pourquoi on a associé, d’expliquer, avec la différence réelle, la ressemblance apparente.

Enfin les associations par contiguité impliquent également pour l’esprit philosophique une exigence de dissociation. Le sophisme post hoc ergo propyer hoc, association par contiguïté dans le temps,

  1. Évolution Créatrice, p. 247.