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LE BERGSONISME

qui leur a permis de défricher leur champ en négligeant les problèmes métaphysiques où s’obstinait à piétiner sur place la psychologie traditionnelle.

La réfutation du parallélisme psycho-physiologique par M. Bergson est une des discussions les plus serrées, les plus solides, les plus probantes qu’on ait vues depuis longtemps en philosophie. Tout l’essentiel de cette analyse critique se trouve dans Matière et Mémoire qui est de 1894. M. Bergson est revenu sur le même sujet dans une communication à la Société de Philosophie, insérée dans le Bulletin de 1901. Mais nous trouvons ici un exemple curieux de la durée qui est nécessaire à une théorie philosophique nouvelle pour faire son chemin et pour éclater aux esprits, tout aussi bien qu’à un morceau de sucre pour fondre. L’exposition de Matière et Mémoire passa presque inaperçue. Il fallut que M. Bergson fût devenu l’auteur de l’Évolution Créatrice pour qu’un jet de lumière fût jeté rétrospectivement sur sa psychologie. Lorsqu’au Congrès de Genève en 1904 il donna communication de son mémoire sur le Parallélisme psychophysiologique, paru la même année dans la Revue de Métaphysique, ce fut, parmi les philosophes réunis à cette occasion, une émotion et un étonnement dont nous trouvons l’expression dans le compte rendu du Congrès qu’a publié, sous la signature de M. Chartier, la même revue. Des professeurs notoires vinrent déclarer qu’ils avaient jusqu’ici enseigné le parallélisme en toute confiance, que cette nouveauté les bouleversait, et qu’ils allaient ruminer sérieusement les arguments de M. Bergson. C’est donc plus de dix ans après avoir été formulé pour la première fois que le problème s’est imposé à l’attention des philosophes. Il semble bien que sur ce point M. Bergson ait eu définitivement gain de cause, et la doctrine du parallélisme a cessé d’être exposée, même à titre d’hypothèse commode.

Il faut dire que la question était posée dans Matière et Mémoire en des termes si nouveaux et si complexes qu’il était presque impossible qu’aucun esprit s’y adaptât immédiatement. L’Évolution Créatrice seule a permis d’envisager la doctrine bergsonienne comme un tout, de la saisir en esprit et de replacer dans un courant général chacune de ses théories particulières. On ne pouvait auparavant les comprendre que dans une certaine matérialité, dans une réalité idéologique morcelée qui ne laissait pas de les altérer.

Le physique et le psychique sont, pour Spinoza, deux traductions d’une même réalité, comme une équation algébrique et une figure