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LE BERGSONISME

universitaire, se chargea de vérifier, de « mettre au point », d’exécuter en connaissance de cause le bergsonisme, fut M. René Berthelot. D’une compétence philosophique indiscutable, M. Berthelot menait sur le pragmatisme, alors à l’ordre du jour philosophique, une enquête qui fit le sujet d’un cours libre en Sorbonne et de plusieurs volumes. Il l’étudia chez James, chez Nietzsche, chez Poincaré et finalement chez Bergson.

Il n’est pas inutile à cette étude de situer non seulement ce livre, mais son auteur. On sait que la famille de Marcellin Berthelot, si vigoureuse et si unie (force et union rendues sur la place du Collège de France par le monument élevé au grand savant et à celle dont il ne voulut être séparé ni par la mort ni par la gloire) est une des familles françaises où a poussé au XIXe siècle le plus d’intelligence. Berthelot, dans les dernières années de sa vie, ancien ministre radical était, considéré un peu comme le défenseur attitré, l’évêque d’un monde scientifique et laïque. Lorsque Brunetière, ayant fait une visite au Vatican et adhéré à la religion catholique, en conclut (avec cet individualisme logique qui caractérisait cet ennemi de l’individualisme) à la faillite de la science, Berthelot lui répondit de la même encre (et les deux encres ont depuis singulièrement pâli). Dès lors M. René Berthelot, en écrivant son gros ouvrage, intéressant et bien fait, obéissait à un élan vital de famille, se portait au secours d’un scientisme clair, qui semblait alors démocratique, contre une mystique obscurité qui paraissait bien obscurantiste. Il y obéissait encore en un point plus particulier, car le regard qu’il porte sur le bergsonisme, la critique à laquelle il le soumet, ce sont un regard et une critique de chimiste.

Il part de ce principe de chimiste qu’une philosophie comme un corps est composée d’éléments préexistants, et il se refuse en conséquence à voir grande nouveauté dans le bergsonisme. Il s’attache à rechercher dans les philosophies antérieures tout ce que M. Bergson leur aurait « emprunté », à commencer par l’« idée de vie » prise à Schelling. Il n’y a pas de philosophie depuis Héraclite qui ne soit invitée à venir reconnaître son bien dans le bergsonisme. On doit d’ailleurs faire bien des réserves sur cette revue des idées antérieures, où les rapprochements sont fondés presque toujours sur la périphérie des doctrines, rarement accordés à leur centre et réglés sur leur mouvement. Schopenhauer cite quelque part avec enthousiasme ce mot d’Helvétius : « C’est l’envie seule qui nous fait trouver