Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume III – TII.djvu/248

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
234
LE BERGSONISME

leur murmurant : In scholasticam reverteris. La scolastique a dit, comme Couthon au 9 thermidor : « Un instant, citoyen, je ne suis pas encore mort ! » Les deux plus gros livres qui aient été publiés en France sur la philosophie de M. Bergson l’ont été par des scolastiques. C’est un livre, à couverture violet d’évêque, de monseigneur Farges, et un fort volume de M. Jacques Maritain. Le premier a permis aux directeurs de conscience de déclarer aux catholiques qui les interrogeaient sur M. Bergson : « M. Bergson a été réfuté par un prélat autorisé. » N’oublions pas qu’on trouvait alors des bergsoniens orthodoxes parmi les modernistes frappés par Pie X, et que les lettres de M. Bergson au P. de Tonquédec n’étaient pas propres à rassurer complètement la conscience des catholiques. Quant à M. Maritain, il a donné, dans sa Philosophie bergsonienne, un exposé analytique intelligent et exact des idées de M. Bergson, et il l’a ensuite réfuté, lui aussi, au nom et par le moyen de la scolastique. Cela produit un effet singulier. On dirait un exorcisme. En tout cas cet exemple nous fait comprendre à quel point les familles d’esprit sont irréductibles les unes aux autres. C’est une curieuse attitude que celle des gens qui ne peuvent que penser scolastique devant M. Bergson, comme M. Berthelot pensait systèmes, codex et chimie. « La plupart des thèses de cette philosophie, dit M. Maritain, apparaissent à un certain point de vue comme des tentatives aussitôt déviées d’affirmations scolastiques[1]. » Si M. Bergson, employait sa pensée à penser du pensé, il serait un bon scolastique. Parbleu ! Mais c’est l’acte même de cette philosophie que de se retenir et de retenir l’esprit sur la pente du tout fait et du scolastique. Pareillement un Père jésuite qui nous a rendu le bon service de rédiger pour les Études un cours de M. Bergson au Collège de France, sur la personnalité, M. Grivet, écrit : « Dans tout le cours de M. Bergson, on admirera comment le philosophe n’ayant pas à sa disposition la distinction acte et puissance, familière aux scolastiques, est contraint par la logique, de rôder tout autour ou d’en inventer l’équivalent[2]. » Pour un peu M. Grivet organiserait une quête dans l’auditoire afin de les fournir à M. Bergson.

La méthode est simple : elle consiste à poser les thèses scolastiques comme une citadelle puissante et définitive, et à les rappeler à l’occa-

  1. La Philosophie Bergsonienne, P. 453.
  2. Etudes, t. CXXIX, p. 452.