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LE MONDE QUI DURE

exemples les plus clairs du mécanique plaqué sur le vivant. Or c’est un ridicule qu’on avoue volontiers. Homais cite avec complaisance des exemples de ses distractions (chercher son bonnet grec quand il l’a sur la tête). Mais la distraction paraîtra au vulgaire l’apanage de l’homme absorbé par ses réflexions et ses études. Accepter d’un cœur léger le petit ridicule de la distraction, c’est, à la foire aux vanités, troquer un œuf contre un bœuf.

Le rire, qui exerce une fonction sociale, est encouragé par la société, et c’est lui qui donne naissance à la partie la plus populaire de l’art, l’art comique. « C’est bien une énergie vivante que la fantaisie comique, plante singulière qui a poussé vigoureusement sur les parties rocailleuses du sol social, en attendant que la culture lui permit de rivaliser avec les produits les plus raffinés de l’art. » Le rire organisé, devenu œuvre d’art, c’est la comédie. M. Bergson y touche en passant. Il est peut-être intéressant de grouper ici ces contacts rapides de la philosophie bergsonienne avec la comédie, et particulièrement la comédie de Molière, et de voir, sur un point précis, quels services la réflexion philosophique peut rendre à la critique littéraire.


IX

M. BERGSON ET MOLIÈRE

M. Bergson lui-même a pris à Molière plusieurs de ses références. Et son essai sur le Rire et la Signification du comique aurait aussi bien pu recevoir la forme d’un essai sur Molière. Car le comique, c’est le comique de Molière, et la comédie, c’est la comédie de Molière. « Disons, écrivait Brunetière, qu’après cinquante ans écoulés bientôt, de même qu’un bon roman est celui qui se rapproche le plus du roman de Balzac, — d’Eugénie Grandet ou du Ménage de Garçon — à condition d’être un peu mieux écrit, de même en France une bonne comédie, fût-elle de Labiche ou d’Augier, sera toujours celle qui nous rappellera le plus la comédie de Molière ; et nous ne la louerons peut-être jamais mieux qu’en montrant comment, par où, par quels