Page:Thibaudet - Gustave Flaubert.djvu/183

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péché que Flaubert appelle la logique, l’assaut de la chapelle par leur foule démoniaque, tout ce grouillement d’abstractions oratoires entraînées par une verbosité puissante et rayées des plus beaux éclairs dramatiques. Cela, en 1874, Flaubert l’a transporté du concret dans l’abstrait, l’a résumé dans le monologue initial d’Antoine, qui, tout en étant décidément supérieur, ne fait pas oublier la première forme. Deux pages alors suffiront pour faire passer Antoine, presque méthodiquement et par la dialectique du mal intérieur, au péché ; d’abord l’orgueil, par lequel commence le monologue, puis l’avarice, l’envie, la colère, la gourmandise, la paresse, et enfin la luxure. L’âme solitaire, abandonnée à son poids naturel dans la tentation et le mal, passe immuablement par les sept échelons de cette dialectique, par les sept péchés dont le premier et le dernier, l’orgueil et la luxure, commandent et définissent les autres, les dépassent de leur haute stature.

Flaubert a abrégé dans la dernière Tentation le dictionnaire des hérésies, qui n’en reste pas, sous ce moindre volume, moins fastidieux ; c’est la partie la plus morte de l’œuvre. Mais la première Tentation contenait déjà tout l’admirable épisode d’Apollonius et de Damis, que Flaubert en détacha en 1857 pour le publier dans l’Artiste. Avec les échos et les répons du famulus Damis, intermédiaire entre le Wagner de Faust et Sancho, c’est le meilleur morceau dramatique qu’ait écrit Flaubert. Apollonius, dont la renommée en son temps fut immense et qui semble présenter tous les caractères d’un fondateur de religion, était le type le plus vraisemblablement indiqué pour fournir le prophète autour duquel avaient tendance à cristalliser les éléments de religiosité nouvelle en suspension alors dans le monde méditerranéen et oriental. C’est bien sous cet aspect que le Grec alexandrin, l’Asiatique ou le Romain pouvaient attendre l’envoyé ou le fils de Dieu. Et ce type naturel ne donna rien. Il fallait quelque chose de plus profond et de plus pathétique, un coup de génie divin plus inventif. Mais Flaubert a figuré magnifiquement cet émule du Christ et cette concurrence au christianisme ; l’enfance miraculeuse de beauté et de pureté, l’ascèse à laquelle est incorporée toute la sagesse orientale et grecque, les voyages et les miracles.

Le défilé des idoles, avec sa surcharge barbare, sa fantaisie