Page:Thibaudet - Gustave Flaubert.djvu/222

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plus franchement de notre langue, qui est une des plus nettes et des plus simples. Je suis de son avis, j’ai toujours été frappé de la justesse de son jugement ; c’est peut-être parce que, à titre d’étranger, il nous voit avec le recul et le désintéressement nécessaires[1]. »

La dernière phrase met à cette page comique un point final qui eût mérité de la fixer dans le sottisier de Flaubert. Il est possible que l’art de la prose tel que l’entendait Flaubert, un art de la prose attentif à des lois musicales aussi rigoureuses que celles des vers, soit propre, dans les temps modernes, à la littérature française, qui a, depuis Guez de Balzac, ses peseurs de mots, ses chercheurs de sonorités, ses créateurs de coupes, et qui implique des exigences complexes de perfection, aux-quelles les grands écrivains sacrifient plus ou moins péniblement, soit qu’ils les réalisent au courant de la plume, comme Bossuet, soit qu’ils n’y satisfassent que par un long labeur de polissage et de ciselure comme Flaubert. Mais cet art de la prose que les Français pratiquent, ils ne l’ont pas inventé. Ils l’ont trouvé chez les Latins comme les Latins l’avaient trouvé chez les Grecs. Une chaîne le relie à ses héros œkistes, à Isocrate et à Gorgias, et cette chaîne n’est autre que la chaîne classique. Si aucun écrivain, dans aucune langue que connût à fond Tourguéneff, n’a raffiné de la sorte, c’est qu’il n’y a que trois littératures, trois littératures qui aient eu une prose au sens intégral du mot. Flaubert qui appartient à cette chaîne, à cette suite, écoutait Mérimée avec une oreille d’une autre race que Tourguéneff et Zola. La dernière phrase de Zola, qui pense que le jugement du Russe doit être bon, parce que étranger il a le recul et le désintéressement nécessaires, revient à dire qu’un sourd juge la musique impartialement et sans idées préconçues, et aussi que le romancier naturaliste sait où le bât le blesse.

Votre avis est fort bon, dit quelqu’un de la troupe,
Mais tournez-vous de grâce et l’on vous répondra.
MaisÀ ces mots il se fit une telle huée
Que le pauvre écourté ne put être entendu.

Sur le point particulier du pronom relatif, l’opinion de Flaubert reste discutable, et l’on peut admettre que son

  1. Les Romanciers naturalistes, p. 215.