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10. Le style de Flaubert


Si on voulait donner aux écrivains français des sous-titres caractéristiques pareils à ceux que les Alexandrins ont attribués aux dialogues de Platon, nul doute que celui de Flaubert ne fût : Flaubert ou le style, ou la religion du style. Religion qui a eu chez lui son élément de terreur et de fanatisme, et pour laquelle certains peuvent croire que l’heure de Voltaire est venue. Déjà au temps de Flaubert, elle paraissait un peu formaliste, judaïque ou byzantine. Au sortir d’un entretien entre Flaubert, Feydeau et Gautier sur le style, les Goncourt écrivent : « Il nous a semblé tomber dans une discussion du Bas-Empire[1]. » Zola écrit à son tour : « Un jour, j’assistai à une scène typique. Tourguéneff, qui gardait de l’amitié et de l’admiration pour Mérimée, voulut ce dimanche-là que Flaubert lui expliquât pourquoi il trouvait que l’auteur de Colomba écrivait mal. Flaubert en lut donc une page ; et il s’arrêtait à chaque ligne, blâmant les qui et les que, s’emportant contre les expressions toutes faites, comme prendre les armes et prodiguer des baisers. La cacophonie de certaines rencontres de syllabes, la sécheresse des fins de phrases, la ponctuation illogique, tout y passa. Cependant, Tourguéneff ouvrait des yeux énormes. Il ne comprenait évidemment pas, il déclarait qu’aucun écrivain, dans aucune langue, n’avait raffiné de la sorte. Chez lui, en Russie, rien de pareil n’existait. Depuis ce jour, quand il nous entendait maudire les qui et les que, je l’ai vu souvent sourire ; et il disait que nous avions bien tort de ne pas nous servir

  1. Journal, t. I, p.178.