Page:Thibaudet - Gustave Flaubert.djvu/283

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Et dans Zola :

« Il était quatre heures ; la belle journée s’achevait dans un poudroiement glorieux de soleil. À droite et à gauche, vers la Madeleine et vers le Corps législatif, des lignes d’édifices filaient en lointaines perspectives, se découpaient nettement au ras du ciel ; tandis que le jardin des Tuileries étalait les cimes rondes de ses grands marronniers. Et, entre les deux bordures vertes des contre-allées, l’avenue des Champs-Élysées montait tout là-haut, à perte de vue, terminée par la porte colossale de l’Arc de Triomphe, béante sur l’infini. Un double courant de foule, un double fleuve y roulait, avec les remous vivants des attelages, les vagues fuyantes des voitures, que le reflet d’un panneau, l’étincelle d’une vitre de lanterne semblaient blanchir d’une écume. En bas, la place aux trottoirs immenses, aux chaussées larges comme des lacs, s’emplissait de ce flot continuel, traversée en tous sens du rayonnement des roues, peuplée de points noirs qui étaient des hommes ; et les deux fontaines ruisselaient, exhalaient une fraîcheur, dans cette vie ardente[1]. »

Il va sans dire qu’aujourd’hui ces imitations serviles ne seraient plus admises, mais qu’en est-il tombé ? D’abord le tour flaubertien, une écume, une fraîcheur, qui date comme une crinoline ou une tournure. Et ensuite et surtout le ronron oratoire. Un Aixois, de lignée italienne, l’imite d’autant plus facilement qu’il l’a dans le sang. Mais ce qui lui manque absolument, et ce qui fait le nerf et la force de Flaubert, c’est l’art des dissonances, la manière de retenir et de couper ce style oratoire. Faute d’un tel art, il ressemble à l’apprenti sorcier. Pourtant ce style a été convenable, reste passable, et Zola le doit évidemment à l’école de Flaubert, sans lequel il eût écrit comme Fortuné du Boisgobey. Le tandis que a beau être une imitation d’écolier, dans cette vie ardente une chute à se casser le nez, il reste, par-delà les copies de style, une inspiration bienfaisante et qui, elle, n’a pas épuisé son effet. C’est celle de la description en mouvement, que ni Balzac, ni Gautier, ni même (il faudrait ici toute une étude) Chateaubriand et Hugo n’avaient su manier dans son esprit et dans son secret, mais

  1. L’Œuvre, p. 89.