Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/103

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Quand l’ombre menaça de sa fatale loi
Tel vieux rêve, désir et mal de mes vertèbres,
Affligé de périr sous les plafonds funèbres,
Il a ployé son aile indubitable en moi.

Luxe, ô salle d’ébène où pour séduire un roi
Se tordent dans leur mort des guirlandes célèbres.
Vous n’êtes qu’un orgueil menti par les ténèbres,
Aux yeux du solitaire ébloui de sa foi.

Aveu que cette foi dont le solitaire maintenant s’éblouit n’a comblé, d’abord, que le vide laissé par un vieux, tenace, irréalisé désir, par un rêve dont l’aile, de lassitude, enfin s’est repliée.

L’espace, à soi pareil, qu’il s’accroisse ou se nie,
Éprouve, avec l’ennui des feux vils pour témoins,
Que s’est d’un astre en fête allumé le génie.

Astre de la pensée qui veille, du songe silencieux vers qui tout converge et qui se croit tout.

Ce même idéalisme il le porte dans l’amour, ou plutôt il n’emporte de l’amour que ce que cet idéalisme lui laisse. Ses sonnets d’amour sont toujours, par des après-midi de tendresse, de solitude et d’ennui, les évocations, sur la Syrinx, du Faune chanteur.

Ainsi quand des raisins j’ai sucé la clarté
Pour bannir un regret par ma feinte écarté,
Rieur, j’élève au ciel d’été la grappe vide,
Et, soufflant dans ses peaux lumineuses, avide
D’ivresse, jusqu’au soir je regarde au travers.

L’Après-midi, à qui sait le lire, offre la racine charnelle de cet idéalisme, la même racine que nous font aussi discerner telles pages du Banquet et du Phèdre. Une sensualité très ardente, mais aussi très délicate, qui se trouve arrêtée en même temps par des impossibilités extérieures et par un scrupule intérieur, la mise parfois au crédit de celui-ci de ce qui devrait figurer au compte de celles-là, — la naissance poétique de formes, de