Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/107

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donne-t-il au compte final de l’existence un surplus de douleur ou de joie ? On ne saurait le dire sans présomption ni lourdeur. Il enlève d’ailleurs aux termes de douleur et de joie une part de leur sens habituel. Il les rapproche dans une surface supérieure de vie, une surface d’insaisissable lumière. Mais, peut-être, verse-t-il le calme à l’agitation des douleurs ordinaires, — révèle-t-il, dans les joies coutumières, une épave seulement, un héritage vide de rêve brisé,

La chambre ancienne de l’hoir
De maint riche, mais chu trophée.

Et ce que nous savons et ce que nous lisons de Mallarmé nous indique que plus peut-être, de ces destinées alternatives, la seconde pencha vers lui.

Tout idéalisme, chez les philosophes, est constructif, et par là il touche à l’œuvre d’art. Non seulement l’atteste Platon, mais Berkeley, Kant, Fichte, Hegel, Renouvier. Un phénoménisme négatif et critique, celui d’un Hume ou d’un Mill, n’aménage qu’un tremplin plus élastique aux penseurs agiles et complets qui le suivront. D’autre part un des plaisirs les plus délicats que procurent les mystiques, Ruysbroeck, Jacob Boehme ou Sainte Thérèse, c’est de renouveler, nus, parce que seuls, en des âmes dépourvues de ce mélange d’abstraction supérieure et d’ampleur oratoire qui constitue le génie philosophique, les éléments primitifs et sincères qui forment dans le sentiment et dans la vie sa condition et sa racine. Un admirable illettré comme Charles Fourier nous apporte le même secours. Et il me semble qu’on pourrait le retrouver chez Mallarmé. En réfléchissant sur sa hantise poétique, il a, de son propre fonds, repris, avec une singulière fraîcheur, quelques-unes des attitudes natives qui donnèrent lieu à l’idéalisme platonicien, et qui, moins spontanément, sans « l’aimable simplicité d’un monde naissant », fit surgir d’intelligences plus scolastiques les types différents d’idéalisme constructif.