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ne sort pas comme un rêve cristallisé et définitif, mais comme un motif à rêver, à s’émouvoir, à penser. Cette forme d’art qui se révèle si paradoxalement exclusive à partir de l’Après-Midi d’un Faune, se lève déjà clairement, sous le vêtement de sa splendeur parnassienne, dans Apparition, les Fenêtres, les Fleurs, l’Azur, Hérodiade.

La poésie, pour Mallarmé matière radiante de suggestion, revient dans certaines des voies romantiques, non dans toutes. Elle se constitue contre deux adversaires, elle a, dirait Nietzsche, deux impossibilités : l’une parnassienne qui est la description, l’autre romantique, qui est le développement oratoire.

Parlant du mouvement musical que l’on aperçoit souvent parallèle au symbolisme, M. Camille Mauclair écrit : « Leur second ennemi (aux symphonistes franckistes) a été la musique descriptive, à laquelle leur wagnérisme idéologique et les principes de Franck sur l’idée musicale leur ont fait opposer la musique transposée, exprimant non les sensations naturelles (bruit du vent, chant d’oiseaux, etc..) mais l’émotion ressentie par l’âme qui perçoit ces sensations... Cette distinction est le principe même du symbolisme, et a été formulée admirablement par Mallarmé dans ses lucides études sur l’allusion, la métaphore et les divers moyens de transposition et d’émotion dans le style[1] ».

Un art nouveau, vivant, se constitue d’ailleurs généralement contre la description facile qui est, dans un art sur sa fin, le moyen des honnêtes ouvriers. Boileau fit porter en partie son opération de police contre les descriptifs à outrance, ceux qui, comme Scudéry, offraient fièrement au public une table des matières de leurs descriptions. Pareillement le romantisme fit tomber en pièces la description poussiéreuse de Delille et de Fontanes, et le symbolisme se leva contre la description naturaliste en même temps que contre la description

  1. C. Mauclair, Idées vivantes, p. 146.