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CHAPITRE XV

LE SENTIMENT DE LA DURÉE

La philosophie de M. Bergson a rendu capital en métaphysique le problème de la durée. La distinction entre la durée sociale et spatiale, la durée psychique et vivante est passée dans le courant de nos idées. Mais une de ses conséquences serait d’ouvrir à la critique une perspective neuve. La durée sociale n’est pas partout et en tout temps identique à elle-même, elle est en fonction d’états religieux, intellectuels, d’inventions comme l’écriture, l’imprimerie, les chronographies. À plus forte raison existe-t-il autant de durées vivantes qu’il y a de vies humaines. Il n’est pas deux hommes qui vivent le même genre de durée ; et l’on peut concevoir une psychologie beaucoup plus avancée qui donnerait pour chaque homme (malgré la contradiction apparente des termes) une formule de sa durée. On entreverrait son approximation grossière si l’on se demandait en quelle mesure ce que l’on peut appeler l’accent tonique de chaque homme porte sur son présent, son passé ou son avenir. Je ne sais si dans l’harmonie pondérée, dans la période en systèmes clos, de Chateaubriand et de Bossuet, on ne discernerait pas l’ombre portée du passé dont l’environnement les retient et les définit, — si le style de Stendhal n’est pas celui d’un homme oc-