Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/170

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comme elles ne sauraient exister concurremment au flux de banalité charrié par les arts dans le faux semblant de civilisation... À son aise et c’est le moins, qu’il accepte pour exploit de considérer, seul, dans l’orgueilleux repli des conséquences, le Monstre — Qui ne peut Être ».

Dans cet équilibre de conscience se termine, aux heures lucides, toute spéculation sur l’absolu. Pour l’idéaliste, l’existence n’est point nécessaire à la vérité qu’il conçoit. Comme Antée reprenait ses forces en touchant la terre, le poète rajeunit les siennes en contemplant un ciel, un absolu, le ciel qui n’est tel, qui n’est bleu, que parce qu’il ne peut être touché. Des rêveries de Mallarmé sur la poésie, par delà tout, inexistante et pure, de la ferveur, de l’orgueil qui l’y conduisent, on ne saurait, je crois, donner une plus juste idée qu’en rappelant telle page de Kant où se respire aussi l’air d’un sommet, et qu’en la transposant intacte, de la morale à la parole : « Lors même qu’il n’y aurait jamais eu d’actions qui fussent dérivées de ces sources pures, il ne s’agit néanmoins ici en aucune façon de savoir si ceci ou cela a lieu, mais que la raison commande par elle-même et indépendamment de tous les faits donnés ce qui doit avoir lieu[1]

  1. Fondements de la Métaphysique des Mœurs, trad. Delbos, p. 114.