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CHAPITRE XVIII

L’EXISTENCE DU POÈTE

Que la poésie de Mallarmé ait été glacée, comme la verve d’Amiel, en une « pudeur grelottante », qu’elle s’accompagne d’une froide phosphorescence de lucidité, que l’impression native et neuve, au lieu de s’y développer selon les plans du discours, se concentre, se raffine, s’angoisse pour distiller intérieurement sa goutte d’or, c’est ce qu’à travers les synonymes glorieux inventés par son imagination, nous avons suffisamment reconnu. Idéaliste dont le génie naturel évaluait sans cesse les réalités extérieures en les espèces de la pensée, il se préoccupa moins de l’objet de la poésie que du fait de la poésie. L’existence du poète lui parut toujours le même mystère merveilleux, la même matière indéfinie de rêve. Un de ses thèmes constants est celui de la déchéance, de l’exil, de la tristesse nécessaire et invincible du Poète. Il fut poète comme Pascal fut homme, gardant toujours la nouveauté et l’angoisse de son état, sans se résoudre à le considérer comme une habitude et à l’exploiter comme une routine d’action.

Du romantisme, à travers le Parnasse, il hérite non seulement beaucoup de son art, mais beaucoup de son