Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/225

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« À toute la nature apparenté, écrit Mallarmé dans un livre scolaire, et se rapprochant ainsi de l’organisme dépositaire de la vie, le mot présente, dans ses voyelles et ses diphtongues, comme une chair, et dans ses consonnes comme une ossature délicate à disséquer[1]. »

C’est cette dissection même que son livre entreprend, non à vrai dire sur le français : qui donc disséquerait la femme qu’il aime ? mais sur une langue étrangère, propre à l’amphithéâtre, l’anglais. Les Mots Anglais représentent un fort travail, mais on ne peut se défendre d’une stupeur en voyant que Mallarmé leur attribuait une fin pédagogique. Ce sont les imaginations du Cratyle (l’avait-il lu ?) ou mieux encore de M. de Piis. Il évoque, de façon très platonicienne, une science qui, « possédant le vaste répertoire des idiomes jamais parlés sur la terre, écrira l’histoire des lettres de l’alphabet à travers tous les âges, et quelle était presque leur absolue signification, tantôt devinée, tantôt méconnue par les hommes, créateurs de mots ». En attendant, veut-on quelques échantillons de son anatomie des consonnes ? (Il s’agit, ne l’oublions pas, des mots anglais.)

B « cause les sens divers et cependant liés secrètement tous, de production ou enfantement, de fécondité, d’amplitude, de bouffissure et de courbure, de vantardise ; puis de masse ou d’ébullition et quelquefois de bonté et de bénédiction (malgré certains vocables…) significations plus ou moins impliquées par la labiale élémentaire[2] « Le désir, comme satisfait par l, exprime avec ladite liquide, joie, lumière, etc., etc… De l’idée de glissement on passe aussi à celle d’un accroissement par la poussée végétale ou par tout autre mode ; avec r, enfin, il y aurait comme saisie de l’objet désiré avec l, ou besoin de l’écraser et le moudre[3]. »

  1. Les Mots Anglais, p 7.
  2. Les Mots Anglais, p. 65.
  3. Les Mots Anglais, p. 89.