Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/226

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Il y en a ainsi bien des pages. Le philologue sourira de ces puérilités qui ne sont telles d’ailleurs que par leur exagération et qui ont peut-être (reportez-vous à Steinthal) un fond de vérité, mais elles nous éclairent sur un poète. Elles attestent chez Mallarmé cette imagination visuelle très précise qui s’est incorporé tout le détail matériel du livre. Elles donnent une atmosphère à son hallucination du mot. Les remarques auxquelles, dans une page de voyage, Victor Hugo s’amuse sur la forme des lettres, viennent d’une source analogue. On n’est poète que parce qu’on a conservé certaines habitudes d’enfance. Les lettres des mots, les majuscules initiales, disent aux enfants beaucoup de choses : pour eux nomina numina, et James Sully, dans ses Études sur l’Enfance, cite un petit garçon qui s’était pris d’une très grande et souvent exprimée sympathie pour « ce cher vieux W ».

Un livre était pour Taine un « palais d’idées ». Une page est pour Mallarmé une chambre de mots, mieux une grotte de mots, comme celles des contes orientaux.

« Les mots, d’eux-mêmes, s’exaltent à mainte facette reconnue la plus rare, ou valent pour l’esprit, centre de suspens vibratoire ; qui les perçoit indépendamment de la suite ordinaire, projetés, en parois de grotte, tant que dure leur mobilité ou principe, étant ce qui ne se dit pas du discours : prompts tous, avant extinction, à une réciprocité de feux distante ou présentée de biais comme contingence[1] ».

Le mot usuel, celui du langage et des journaux, selon Mallarmé, ressemble si exactement à une monnaie que le plus souvent mettre une pièce dans une main nous dispenserait de parler. La richesse de l’esprit n’est point en monnaies qui aient cours. Ainsi un Oriental au lieu de nos papiers de banque possède dans un coffre des pierres précieuses ; — et des monnaies d’or il tourne l’emploi à celui de bijoux pour ses femmes, Mallarmé

  1. Divagations, p 290.