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Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/243

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Grotesques, donnent des exemples curieux de théories par allusions rétrospectives, sortes d’Histoires des Girondins poétiques. Presque toute la capacité d’exposition didactique est accaparée par une question : le rôle social du poète, qui tient en 1830 une place bruyante, comme l’ouvrier en 1848. La préface de Cromwell n’a pas de lendemain, et celles qui suivent constatent en général que « l’heure politique est grave ». Lorsque l’art social, la poésie sentimentale, piétinent et se dissolvent dans une boue de rabâchage, on se reprend à discuter les questions de métier. L’exemple des peintres, la fréquentation des ateliers, y ramènent les poètes. En 1857 les Goncourt écrivent après une réunion à l’Artiste : « Il nous a semblé tomber dans une bataille de grammairiens du Bas Empire ». Mallarmé appartient exactement à cette lignée. Ses mardis furent un centre de discussions techniques. Il y fit un peu école : les poètes se doublent aujourd’hui de théoriciens, — et le pas qui sépare du ridicule cette excellente ambition, on le franchit au moyen d’un « manifeste ».

Il admire, chez Banville, « l’épuration, par les ans, de son individualité en le vers » et c’est chaque vers qui pourrait, par ses résonances lointaines et ses horizons intérieurs, lui suggérer ainsi que le Livre une « superposition de pages comme un coffret, défendant contre le brutal espace une délicatesse intime reployée[1] ». Et l’amour du vers pour le vers, non pour sa place dans un sujet, une série, un organisme, est une tentation de sa poésie.

Son œuvre présente un rare musée de vers isolés, que l’on caractériserait en puisant des métaphores dans l’art lapidaire. Le Toast Funèbre, Hérodiade, l’Après-Midi, en sont de radieux écrins. « Le vers qui refait un mot neuf et comme incantatoire... » Ces purs mots incantatoires nous révèlent peut-être un des secrets glorieux de sa rareté. Comme la poésie de Hérédia se cristallise

  1. Divagations, p. 199.