Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/290

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La tienne, si toujours le délice ! la tienne
Oui seule qui du ciel évanoui retienne
Un peu de puéril triomphe en t’en coiffant

Avec clarté quand sur les coussins tu la poses
Comme un casque guerrier d’impératrice enfant
Dont pour te figurer il tomberait des roses.

Le motif des deux sonnets est, si l’on veut, la contre-partie des vers de Victor Hugo

Quand on est jeune on a des matins triomphants
Le jour sort de la nuit comme d’une victoire.

« Matins triomphants » que je retrouve tout frais dans les vers de Verlaine (je les cite comme Ténèbres de Gautier, pour que l’on repère mieux la poésie de Mallarmé).

Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches,
Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous.
Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches
Et qu’à vos yeux si beaux l’humble présent soit doux.

J’arrive, tout couvert encore de rosée
Que le vent du matin vient glacer à mon front.
Souffrez que ma fatigue à vos pieds reposée
Rêve des chers instants qui la délasseront.

Le sonnet de Mallarmé, dans ses deux épreuves, est un « soir triomphant », un minuit. Le poète a derrière lui, dans son souvenir, le jour disparu et le soleil éteints, et il les revoit, cette nuit, dans une tête abandonnée.

Le premier vers, d’abord, conçu à peu près selon la poésie coutumière, mettait le poète devant les feux du couchant, le « désastre ». Peut-être le trouva-t-il de forme et d’évocation trop faciles, un peu vaines. Il le remplace par un vers purement mallarméen, un ablatif absolu, de beaux vocables juxtaposés, sans syntaxe, qui réalisent, qui « font » un coucher de soleil au lieu de le peindre. Suicide, pour désigner le soleil qui meurt de