Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/289

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pouvant se tenir sur ses trois pieds, appuyé sur ses deux voisins, paraît bien la figure mutilée et malchanceuse de la classique stance quaternaire. Il est étrangement consubstantiel au sujet même du Guignon. Le dernier tercet seul trouve le quatrième pied sur lequel tenir, le trait final sur lequel aussi tient et s’arrête le mouvement des autres, — et c’est la mort.

On ferait la même comparaison entre les versions des terze rime intitulées d’abord le Mendiant, puis À un Pauvre, et ensuite Aumône; entre celles aussi du Placet Futile. Je m’arrêterai seulement aux textes successifs de ce sonnet : je cite le plus ancien d’abord :

Toujours plus souriant au désastre plus beau,
Soupirs de sang, or meurtrier, pâmoison, fête ! —
Une millième fois avec ardeur s’apprête
Mon solitaire amour à vaincre le tombeau.

Quand de tout ce coucher pas même un cher lambeau
Ne reste, il est minuit, dans la main du poète,
Excepté qu’un trésor trop folâtre de tête
Y verse sa lueur diffuse sans flambeau

La tienne, si toujours frivole ! c’est la tienne,
Seul gage qui des soirs évanouis retienne
Un peu de désolé combat en t’en coiffant

Avec grâce, quand sur les coussins tu la poses
Comme un casque guerrier d’impératrice enfant
Dont pour te figurer il tomberait des roses

Victorieusement fui le suicide beau
Tison de gloire, sang par écume, or, tempête !
Ô rire si là-bas une pourpre s’apprête
À ne tendre royal que mon absent tombeau.

Quoi ! de tout cet éclat pas même le lambeau
S’attarde, il est minuit, à l’ombre qui nous fête
Excepté qu’un trésor présomptueux de tête
Verse son caressé nonchaloir sans flambeau,