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CHAPITRE VII

LE STYLE

La langue et le style de Mallarmé sont quelque chose, chez nous, de paradoxal et d’unique, plus certes que la musique de son vers. Sa poésie, en tant que telle, j’ai pu la rattacher sinon à des antécédents, du moins à des analogues. Elle ne nous a pas paru, dans la suite des écoles, isolée. Sa prose ne ressemble à rien. Sans point d’attache dans le passé, elle est pareillement garantie pour l’avenir de toute imitation, sinon ridicule. La langue et le style qui s’y montrent à nu, dépouillés du monde incantatoire par lequel le vers les ordonnait selon un type antérieur, forment, sur les confins extrêmes du français, un jeu très curieux, qui nous révèle parfois certaines puissances, certaines tendances, irréalisables, de notre écriture littéraire. Il fallait pour une certaine satisfaction d’esprit, pour une certaine épreuve de nos ressources verbales, que tout cela, tenté une fois, demeurât comme un fier échec,

Calme bloc ici-bas chu d’un désastre obscur.

À cette langue, à ce style, à cette prose inattendus, Mallarmé n’arriva pas tout de suite. Il se les fit lorsqu’il fut devenu un solitaire de la littérature.