Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/318

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La prose contemporaine d’Apparition ou des Fenêtres, où passent des réminiscences de Poe et de Baudelaire, est d’un métal presque retentissant, aux vibrations majestueuses : celle du Phénomène Futur, de Plainte d’Automne, de Frisson d’Hiver. Elle se nourrit, comme les vers, d’harmonies rares, d’assonances et d’allitérations. « Nulle enseigne ne vous régale du spectacle intérieur, car il n’est pas maintenant un peintre capable d’en donner une ombre triste. J’apporte, vivante (et préservée à travers les ans par la science souveraine) une Femme d’autrefois. Quelque folie, originelle et naïve, une extase d’or, je ne sais quoi ! par elle nommé sa chevelure, se ploie avec la grâce des étoffes autour d’un visage qu’éclaire la nudité sanglante de ses lèvres. À la place du vêtement vain elle a un corps ; et les yeux, semblables aux pierres rares ! ne valent pas ce regard qui sort de sa chair heureuse : des seins levés comme s’ils étaient pleins d’un lait éternel, la pointe vers le ciel aux jambes lisses qui gardent le sel de la mer première[1] ». De cette prose du Phénomène Futur, les coupes et les harmonies valent les coupes et les harmonies d’Hérodiade.

C’était l’époque aussi où Mallarmé avait dans la main la prose délicieuse, pailletée, de ses Chroniques, prose à la plasticité de mousseline indienne, capable à la fois de passer par une fente d’aiguille et de draper pour un ballet un écrin de corps souples. Lisez entre bien d’autres cette lettre sur laquelle se clôt la couverture du dernier numéro de la Dernière Mode.

À Yvonne de K...aun, à Pl...r, « Dieu ! que c’est gentil à vous, ma mignonne, de me venger des très durs reproches, auxquels je crois, cependant, avoir répondu victorieusement dans mon Courrier de tout à l’heure. Trop de règles concernant l’habillement des enfants, me disait un trio de visiteuses ; et vous m’écrivez, bonne grande sœur que vous êtes : Pas assez sur ce chapitre.

  1. Divagations, p. 207.