Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/339

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par suite de raisons spéciales, par exemple de la connaissance particulière du sujet que nous pouvons avoir, se seraient associées très rapidement dans notre esprit… La liaison objective des mots prononcés par celui qui parle ne représente pas toujours exactement les conditions de l’association subjective qui s’est produite dans son esprit entre les idées correspondantes ; ainsi je dirai ou écrirai d’un trait : « L’homme est un vertébré » bien qu’il m’ait fallu assez longtemps travailler pour acquérir la connaissance, c’est-à-dire l’association d’idées qu’exprime cette phrase, et qu’actuellement même cette association d’idées ne se passe pas chez moi très aisément[1]. »

C’est contre cet usage commun de la ponctuation que réagit Mallarmé. Il veut lui faire représenter ces « conditions de l’association subjective ». « Un cloître quoique brisé, exhalerait au promeneur, sa doctrine » semble bizarrement ponctué. Il l’est très justement. Une virgule après cloître détacherait d’abord l’image, inutile et contradictoire, d’un cloître intact ; sa mutilation, donnée avec lui, ne peut ici s’en séparer. Il en est de même de exhalerait et de son complément indirect. Quant à la virgule qui isole le complément direct, elle pose l’intermédiaire nécessaire de réflexion qui chez le promeneur refait, par delà sa ruine, la doctrine du cloître. C’est avec une autre construction, une autre ponctuation, que Mallarmé eût écrit par exemple : « Un cloître brisé exhalerait sa rêverie, au promeneur. »

Le second principe, cette ligne en donne une claire conscience : « Le sort, exagéré, fait à ces riens ». Cela ne signifie pas : le sort exagéré fait à ces riens. La ponctuation garde à exagéré la fraîcheur vive de la conversation, la réticence ironique derrière le sourire courtois, alors qu’avec la ponctuation ordinaire il est soudé au nom par une habitude de cliché : le coup de plume im-

  1. B. Bourdon. L’expression des émotions et des tendances dans le langage, p. 117-119.