Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/338

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la page. Les vers se passent de ponctuation « par le privilège d’offrir, sans cet artifice de typographie, le repos vocal qui mesure l’élan[1] ». Peut-être, encore, goût de visuel qui donne au repos des yeux la place et la fonction qu’occupent dans la typographie ordinaire les repos indiqués pour la voix.

Dans la prose, la ponctuation, qui porte tout le mouvement logique, tient une place capitale. Le tort de ceux qui la prennent toute faite est de croire qu’elle sépare seulement des membres grammaticaux, alors qu’en réalité elle distingue des moments de la pensée. Mallarmé, pour sa prose, veut créer une ponctuation qui ne soit pas, du dehors et de la grammaire, appliquée au discours, mais qui s’exhale du dedans, conscience et sueur visible de l’effort par lequel la pensée développe sa plénitude de vie. Chaque phrase a sa ponctuation qui lui est propre, inattendue pour notre routine, imposée par sa logique.

Étudiez la ponctuation dans ces quelques lignes de préface qui ouvrent Divagations.

« À part des poèmes ou anecdotes, au début, que le sort, exagéré, fait à ces riens, m’obligeait (envers le public) de n’omettre, les Divagations apparentes traitent un sujet, de pensée, unique — si je les revois en étranger, comme un cloître quoique brisé, exhalerait au promeneur, sa doctrine. »

Les différences de cette ponctuation avec la ponctuation commune se ramènent à deux principes : d’abord qu’il n’y a pas lieu à ponctuation là où les idées sont nées associées, quelle que soit la divergence grammaticale des termes qui les expriment ; ensuite que la ponctuation sert, comme la distribution de la lumière dans un tableau, à mettre en valeur les mots.

« L’emploi des arrêts, dit un psychologue, devient… pour nous un moyen d’accuser les différences entre les idées, alors même que, malgré ces différences, les idées,

  1. Divagations, p. 341.