Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/346

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un divorce ou simplement des relations correctes entre la musique des mots et la musique des sons, cela est un fait.

Mallarmé se félicite d’avoir, de la nature à la musique « selon une chronologie étagé la concordance ». Et en effet, de l’une à l’autre, dans la mesure où il satisfit l’amour de tête qui le porta vers la musique, se dévoilèrent à lui une mobilité plus fluide, une plus pure délivrance de l’image plastique, et cela parce que la nature lui suggérait, plus qu’un éclat parnassien et de rutilants tableaux, une émotion et une musique : « Les instruments détachent, selon un sortilège aisé à surprendre, la cime, pour ainsi voir, de naturels paysages, les évapore et les renoue, flottants, dans un état supérieur »[1]. Tel est bien sinon le secret, du moins la visée de sa poésie, dans une image qu’il aime : de la forêt romantique retenir les cimes extrêmes, leur faire signifier, évoquer la forêt entière, la forêt inclinée comme à son cœur harmonieux vers la Syrinx du Faune

Ne murmure point d’eau que ne verse ma flûte.

« Voici, dit-il de la musique, qu’à exprimer la forêt, fondue en le vert horizon crépusculaire, suffit tel accord dénué d’une réminiscence de chasse ; ou le pré, avec sa pastorale fluidité d’une après-midi écoulée, se mire et fuit dans des rappels de ruisseau. Une ligne, quelques vibrations sommaires et tout s’indique. Contrairement à l’art lyrique comme il fut, élocutoire, en raison du besoin, strict, de signification »[2]. N’est-ce pas cette vertu musicale qui, sous ces mêmes mots presque, fait, dans l’Après-Midi

Évanouir du songe ordinaire de dos
Ou de flanc pur suivis avec mes regards clos
Une sonore, vaine et monotone ligne.

  1. Divagations, p. 120.
  2. Divagations, p. 120.