sique s’il était musicien : une poésie sans les mots. Mais que signifie ce terme ? Mallarmé ne montra-t-il pas précisément que l’effort et la qualité dernière des mots consiste, par leur raréfaction même, à nous suggérer, seuls, l’idée de cette « poésie sans les mots » ?
Il voit là, à tort, sans doute, un signe particulier à notre temps. La musique est accessible à beaucoup plus d’hommes que la poésie, elle est l’art, par excellence, commun. Un musicien très subtil, fermé à la poésie (ils le sont aussi souvent que les poètes à la musique) pourrait très bien, lui aussi, se représenter avec candeur le lecteur des Contemplations, de Sagesse ou de l’Après-Midi d’un Faune « face à face avec l’Indicible et le Pur » et voir dans sa lecture muette « la musique sans les sons ». Mais chacun se croyant compétent en vers comme en journal ou en affiche, il y a peu de chances pour qu’un musicien reconnaisse dans la poésie cette frontière éthérée, ces cimes neigeuses et suspendues de son art, que fournit à la probité de Mallarmé, pour les yeux de la poésie, la musique.
Précisément parce qu’il n’était pas un musicien, Mallarmé a pu se poser ces curieux problèmes, en nourrir sa réflexion. La musique, dans la dernière moitié de sa vie poétique, lui versa de mains subtiles et douces ce que d’abord, par des mains ironiques et sèches, le sentiment de l’impuissance lui avait suggéré : l’idée, au delà de la poésie, d’une « surpoésie » vers laquelle il est beau de s’efforcer, d’indiquer déjà, par une main tendue, une recherche, une volonté. La musique, qu’il sentait médiocrement comme musique, fut pour lui une catégorie de cet idéal, et il la sentit beaucoup comme frontière de la poésie. Et précisément aussi parce que sa poésie est, au regard de la poésie ordinaire, une frontière, elle peut, au même titre qu’à lui le concert, nous apporter un peu de ce sentiment musical.
Au concert, non seulement il éprouvait l’attrait de la musique, mais il affinait son inquiétude devant le péril musical. Il fait remarquer que la crise actuelle de la