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Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/36

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imposés par quelque événement extérieur. Son cas n’est pas sans analogie avec celui d’Emmanuel Signoret : « Un jour, dit ce dernier à M. André Gide, je le vis à Cannes ; je me plaignis à lui de ce qu’il ne produisait pas davantage. — Moi, je suis toujours prêt, répondit-il ; j’attends qu’on me commande quelque chose. »

Sa poésie, comme une flamme d’alcool, paraît brûler à vide sans matière visible. Mais cette absence de matière, avant d’être le principe de son esthétique, parut au poète et le tourmenta comme son infirmité[1].

De là, en partie, les pièces baudelairiennes de sa première période — Le Guignon, Le Pître Châtié, Les Fenêtres, L’Azur. — Cette stérilité de son cerveau se tourne en dégoût de l’existence. L’Azur, page bleue du missel céleste, idéalement remplie par le poème total, l’afflige et le blesse comme une ironie, lui pris, ainsi que son Cygne, dans la blancheur à peine tachée de la page stérile. Qu’importe même si des brouillards, des brumes, si toute l’humidité du Nord, autour de la chambre close où les nerfs s’exaspèrent, sont montés pour le voiler et l’éteindre.


Sur cette neurasthénie, malgré l’azur bouché, les murs aveuglés, le règne du « cher Ennui », voici qu’éclatent encore, dans la fraîcheur et la liberté de leur rire, le printemps, la jeunesse, la vie cristalline, l’Azur. Ils débordent dans le chant des cloches — peut-être dans ces cris d’enfants de la rue — et contre eux pas de fenêtre fermée ni de refus de l’âme qui tienne.

En vain ! l’Azur triomphe, et je l’entends qui chante
Dans les cloches. Mon âme, il se fait voix pour plus
Nous faire peur avec sa tristesse méchante,
Et du métal vivant sort en bleus angélus !

  1. Voir dans la Société Nouvelle de 1908 un article de M. J. M. Bernard sur Stéphane Mallarmé et l’idée d’impuissance.