Le Forgeron de Banville, beau poème dramatique qui « ne remplace tout que faute de tout », lui paraît, dans l’état actuel, l’œuvre la plus propre à donner, réalisée sur quelque scène vaste, au peuple le pressentiment du théâtre. « Rien de ce que l’on sait ne présente autant le caractère de texte pour des réjouissances ou fastes officiels… comme l’ouverture d’un Jubilé notamment de celui au sens figuratif qui, pour conclure un cycle de l’Histoire, me semble exiger le ministère du Poète[1]. » Il s’agit de l’Exposition de 1889. Si notre âge est pour le poète un temps de grève, Mallarmé ne sépare pas la poésie des grandes fêtes humaines, elle qui précisément doit être la fête humaine par excellence.
Cette fête humaine, dans son essence, ne sera, pense-t-il, ni le théâtre actuel, incapable de subtilité, — « ni la musique du reste trop fuyante pour ne pas décevoir la foule[2] », mais l’Ode sous une forme dramatique.
Bien qu’il ne l’ait guère exprimé, Mallarmé eut conscience de l’opposition entre la poésie du Livre, écrite pour les yeux, inclinée par là vers les images visuelles, plastiques, — et la poésie telle que ses origines sociales et sa naissance individuelle la feraient : domaine de l’ouïe, musique verbale. Le théâtre lui paraissait le lieu de leur synthèse, par la fusion du ballet et de la musique sous l’Ode souveraine. La musique délie l’espace visuel de sa servitude et de son immobilité plastique, le transforme par le moyen du ballet en un univers de succession et de durée. Par le ballet s’animent les strophes ou les vers de l’Ode, et sur le bord de la musique, comme sur une rive d’eau fraîche, les danseuses glissent peu à peu, vêtement qui tombe, puis couronne qui se pose, jusqu’à laisser apparaître, ses pieds purs dans le ruissellement d’orchestre, nue, l’Idée.
Nous évoquerons mieux encore ce théâtre idéal en nous référant à une contre-épreuve. Du Livre, généra-