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380 LA POÉSIE DE STÉPHANE MALLARMÉ

la comprend que par l’analogie de la Messe, à laquelle il faut bien que je la ramène encore. Chaque fois, dans le drame sacré, se joue la scène suprême du monde, l’In- carnation de Dieu. Un ensemble d’attitudes et de mu- sique, où collaborent les plus humbles, émane de l’autel, et leur cœur est un geste silencieux du prêtre : moment le plus intense du drame, que celui où, tous les yeux de chair étant baissés, nul ne le voit que par les yeux de l’âme — où seule, de toute la musique et de l’orgue, et du chant, tus, la sonnette aux mains d’un enfant rappelle que la durée terrestre continue de couler. La grand’messe dans une cathédrale du passé est pour le croyant le drame qui annule tous autres spectacles. Et, bien que l’église du Moyen Age ait transsudé sur ses parvis les tréteaux des Mystères, n’est-ce pas au nom du drame réel et sublime que Bossuet, dans les Maximes sur la Comédie, foudroie le drame parodié ’ ? Ainsi

1. En fait on aperçoit dans ces théories do Mallarmé un rajeu- nissement de questions anciennement posées. Certes le zèle de Bossuet l’emporte à frapper comme un sourd sur toute espèce de théâtre, et l’opinion de son temps, même ecclésiastique, ne ’.e suivait pas. Mais ce qu’il critique particulièrement et plus que la tragédie, ce qui indigne vraiment l’opinion morale d’alors (voir la Satire de Boileau Sur les Femmes) c’est l’opéra, introduit pour- tant en France par des cardinaux. Or qu’est-co que l’Opéra, avec son luxe voluptueux, sa musique, ses rythmes d’attitudes, son éclat, ses dorures — pour un homme d’Eglise — sjnon la messe de Dieu imitée par une messe païenne ? Et le paganisme l’em- porte à tel point qu’en Italie le style jésuite fait des églises exac- tement des salles d’opéra.

Dans l’opéra, bain de mollesse et d’amour, s’était déjà abimée la poésie italienne. C’est sur son décor extérieur, son sentimen- talisme fade, que se modèlera la tragédie de Voltaire, préparée par Quinault. Et ainsi s’oppose aux Maximes sur la Comédie, comme VEssai sur les Mœurs au Discours, cette philosophie de l’Opéra qu’est le Mondain : l’opéra y est donné par Voltaire comme la synthèse même de la civilisation. On atteint le nivenii do base du conventionnel et du truqué. Au contraire, à travers Rousseau et la Lettre à d’Alembert, l’esthétique vivante de la Messe reparait, avec la rusticité d’un commencement, dans les car- tonnages scolasliques et les oripeaux greco-romains des fêtes révo- lutionnaires. D’une probité analogue naît avec ta Dramaturgie