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LES FORMÉS’:DE SA POÉSIE 381

Platon attaque la théâtrocratie athénienne, précisément parce qu’il veut, au théâtre faux d’illusion, substituer le théâtre vrai de la Cité, où paraîtront des hommes.

Cette rêverie brève et d’apparence sibylline, écrite à propos de Wagner se rattache à une vue juste de l’évo- lution du théâtre. Elle serait plus exacte si. à son point de vue d’esthétique métaphysique, on sub-tituait un point de vue historique. Théâtre réel et theuire fictif, le second éclos du premier, le premier rétabli contre le second, ont toujours alterné. Dans l’Église même, une messe de grand mariage à la Madeleine appelle, comme l’ancien Quid pro Baccho ? un Quid pro Christo ?

Mallarmé croyait-il à l’existence possible de ce Théâtre idéal ? Pour un idéaliste la question est fort secondaire. Lui-même l’appelle le Monstre — qui ne peut être*. Il est la réalité qui devrait être, c’est-à-dire qui doit être, et cela suffit.

Et peut-être ce théâtre idéal n’est-il qu’un reflet, allongé par des soirs de méditation calme sur des eaux de foule décorative, — le reflet du seul théâtre qu’il conçut vraiment, celui de lui-même ? « Mon théâtre, de plain-pied et le fouler, acteur même : pourquoi pas, sous l’inspiration du décor, me représenter par frag- ments, à titre d’expérience, dans la vue et dans le congé de tous 2? »

Un théâtre de personnages créés, réels, qui n’appar- tiennent plus au poète, mais auxquels le poète appar- tient comme les sucs d’une terre aux arbres qu’elle nourrit, voilà une impossibilité de (Mallarmé, un désa- veu, qu’il n’admet pas, de son orgueil poétique. De ce même fond d’orgueil le théâtre romantique avait reven-

de Hambourg une esthétique allemande du théâtre qui, après avoir cheminé par d’interminables landes philosophiques, éclate dan> la four formidablo du drame wagnéricn. La Rêverie d’un poète français sur Wagner a donc, aussi, des origines françaises et catho- liques, même révolutionnaires, très nettes.

1. Divagations, p. 1/12.

2. Divagations, p. 333.