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Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/404

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Amour, poésie aussi. La vie toute pure unirait amour et poésie dans le même être, et l’on peut imaginer que les deux nymphes injustement désunies par le faune les figurent toutes deux. Et tout l’échec poétique de Mal- larmé se conterait fidèlement sur le même thème que l’échec amoureux de l'Après-Midi. S’il avait eu le goût des épigraphes, il aurait pu, à son églogue, donner celle- ci, shakespearienne : Nous sommes l’étoffe dont nos rêves sont faits. Les images de poésie nouvelle que lui évoquaient son obstinée réflexion et son inépuisable ingéniosité, un destin ironique lui refusa de les réaliser, et, philosophe et doux, il s’y résigna. Ce roseau de l'Après-Midi, la Syrinx neuve et vierge qu’il avait cueillie, il en fit le tuyau d’où monte la seule et silencieuse songerie. S’il est un Ange qui, aux confins de notre espace, recueille les poèmes écrits sur fumée de tabac, les œuvres de Mallarmé doivent figurer une de ses richesses exquises. Ne voyez-vous pas, dans l'Après-Midi, cette fumée bleue trembler au bout de toutes les lignes, et Mallarmé n’eût-il pas été indulgent à l’exégète qui lui eût révélé, dans la maligne Syrinx, simplement sa pipe familière ?

Dès les premiers vers est indiquée d’une touche musicale, comme en un raccourci d’ouverture, motif de délicatesse et de ténuité, cette sonore, vaine et monotone ligne qui, sur des confins de songe, n’est plus quelque chose et n’est pas encore rien.

Mon doute, amas de nuit ancienne, s’achève
En maint rameau subtil, qui demeuré les vrais
Bois mêmes…

Cette image, reprise ailleurs, de l’extrémité des bois, cime qui déserte la forêt à laquelle ils tiennent pour la lumière où ils flottent, lui figure une conscience triste et déchue qui ne peut, pour s’épanouir, mouvante, se détacher de ce qui l’enlace. Le sentiment de l'Après-Midi, tout douceur et tout ailes se relie par son fond, pourtant, à celui des Fenêtres et du Cygne.