Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/55

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des mots, Mallarmé était blessé de les voir, en bouchons usuels, aux carafes. Pierres dans son jardin que bruits désagréables. Pour s’en purifier, il allait à ses vêpres dominicales, le concert, mieux peut-être comme à un Romain ses thermes que comme à un chrétien ses vêpres. Sous le ruissellement de musique il s’y lavait des poussières quotidiennes, et une rêverie légère, comme l’huile sur les membres, y assouplissait sa pensée.

Presque tous ses poèmes expriment, disposent ou mieux juxtaposent, des images, à l’origine desquelles sont des sensations nues. Mallarmé n’est pas d’abord un hermétiste qui enferme, de propos délibéré, sous une forme rare, des symboles profonds. Il y a chez lui, comme chez Verlaine ou Rimbaud, une sensibilité d’enfant, originale, un jour lavé de création. Mais une main, un mur, entre elle et le papier s’interposent : c’est le scrupule de l’artiste, effet et cause à la fois de sa stérilité. Et ce scrupule est double, contradictoire aussi. Il faut que la page restitue une fraîcheur vive, un ordre naturel de sensations ; mais il faut aussi qu’un art subtil intervienne pour disposer, pour rendre plus nue encore cette fraîcheur, plus essentiel cet ordre, pour retrouver par delà, en visée platonicienne, une Idée de la fraîcheur, une Idée de l’ordre spontané. De sorte qu’il y a à la racine de l’œuvre comme un propter vivendi causas perdere vitam.

L’Après-Midi d’un Faune, la Prose pour des Esseintes, en offriraient bien des exemples. Voyez les premiers vers de l’Après-Midi.

Ces nymphes je les veux perpétuer.
                                    Si clair
Leur incarnat léger qu’il voltige dans l’air
Assoupi de sommeils touffus.

Une vapeur de chair rose, la fleur la plus ténue, le pollen de la jeunesse et de la fraîcheur qui flotte sur les moiteurs d’un sous-bois d’été, voilà l’impression délicate que réalise le poète. Si malgré tout elle ne nous