Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/67

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d’avoir pénétré ce qui n’était qu’indiqué : une politesse qui avait foi, tout en la ménageant, dans l’intelligence du lecteur.

Le secret d’ennuyer est celui de tout dire.

Il y a d’ailleurs une mesure, et l’obscurité des précieux révolte Boileau dont l’esprit

Ne suit point un auteur qu’il faut toujours chercher.

Et le grief formulé le plus souvent contre Mallarmé est celui-là même de Chrysale :

On cherche ce qu’il dit après qu’il a parlé.

La clarté usuelle, faite d’une référence constante à des lieux communs sous-entendus, cause à Mallarmé la même lassitude et la même méfiance qu’à un peintre impressionniste la lumière d’atelier. Le rappel intermittent de ces lieux communs lui paraît une convention acquise de l’art, comme aux mêmes peintres le contour dessiné des objets apparaît une abstraction d’optique. Son obscurité vient alors de ce que, dans sa phrase, le dessin logique est remplacé par le jeu vibrant des images transposées et juxtaposées, tient en partie à son impuissance, érigée en maxime, de développement, et à son acuité de sensation. De même que pour un impressionniste il n’y a pas de lumière, mais des tons lumineux, le sentiment de Mallarmé veut qu’il existe non une clarté, mais des clartés, et il en est parfois chez lui comme dans l’expérience des interférences : l’obscurité y est faite de clartés qui se rencontrent. Ainsi :

Mon doute, amas de nuit ancienne, s’achève
En maint rameau subtil, qui, demeuré les vrais
Bois même, prouve, hélas ! que bien seul je m’offrais
Pour triomphe la faute idéale de roses !

(L’Après-Midi.)

Interférence de deux images, isolément très claires,