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Page:Thibaudet - La Poésie de Stéphane Mallarmé.djvu/68

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celle d’un sous-bois qui s’achève en haut dans la lumière, celle du Faune qui n’a connu que des joies de pressentiment et de rêve. Je dis interférence, parce que d’abord elles semblent venir de deux points opposés : c’est à la réflexion que l’on pénètre l’ingéniosité et la délicatesse du fondu.

D’une seconde pente, la nature de Mallarmé le portait à se complaire dans l’obscurité. Avec son habitude du scrupule, son ingéniosité à chercher à tout des sens subtils, il estimait que tout est également obscur. Peut-être a-t-il fourni à Villiers qu’il n’y a guère plus de cinq ou six hommes par siècle capables de lire n’importe quoi, serait-ce des étiquettes de pots à moutarde. À Daudet demandant « si c’est volontairement que vous vous êtes retiré dans les ténèbres, pour ne pas que tout le monde vous y suivît... ou bien si c’est involontairement », il répond : « Mais est-ce que l’opération même d’écrire n’est pas de mettre du noir sur du blanc[1] ? » C’était s’évader de la question par une frêle allusion ou un jeu de mots, soit — mais toute écriture lui apparaissait en effet comme une architecture du mystère et une économie de l’obscurité.

Et ceux-là mêmes qu’exaspère l’obscurité de Mallarmé, ne faudrait-il pas les convier à admirer au contraire l’honnêteté de son scrupule ? Faire croire à quelqu’un qu’il vous a pleinement compris, lui présenter une phrase apparemment claire, des idées carrées de partout, peut-être au fond est-ce le tromper, l’induire faussement à supposer qu’une pensée humaine, un acte humain, se laisse, dans son entier, pénétrer.

De la sorte, on pourrait, avec un demi-paradoxe et un demi-sourire seulement, voir dans l’obscurité de Mallarmé l’ombre, courtoise aussi, de son avisée et stricte politesse. Que l’on s’arrête au titre de son recueil de prose, Divagations. À celui qui connaît la langue, il signifie très exactement les essais dispersés qu’il con-

  1. Rodenbach, Figaro du 13 septembre 1898.