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peler un épiphénomène. Un Corneille, un Racine, un La Fontaine, n’ont prétendu à rien autre qu’à traiter consciencieusement un sujet précisé : ils sont, en ce sens, les frères de leurs contemporains, les peintres hollandais. Le moyen âge au contraire produit des œuvres nettement symbolistes, telles que le Roman de la Rose et la Vita Nuova.

Le xixe siècle reprend avec ampleur cette poésie symbolique. La transformation presque parallèle du vieux docteur Faust, du don Juan espagnol et moliéresque, du Juif-Errant des légendes, en symboles de l’humanité est caractéristique. L’œuvre poétique décisive, le « grand genre » vers lequel conflue de partout le ljrisme romantique, on les reconnaît facilement dans ce poème symbolique sur le développement de la nature et de l’humanité qui fut l’ambition de tous. Si des ambitions symboliques demeurent chez les Parnassiens, elles passent au second plan, et leur poésie aspire à cette précision qui localisait dans son sujet un poème classique. Aussi le symbolisme est-il, de ce point de vue, une réaction contre le Parnasse. Il forme une suite logique au lyrisme pur, à l’exaltation romantique du moi. « La vérité nouvelle, dit Gourmont, entrée dans l’art avec le symbolisme, c’est l’idéalité du monde[1]. » Vérité bien ancienne d’ailleurs, et une vérité n’entre dans l’art que sous la forme d’un sentiment.

Quand on parle du mouvement symboliste, le nom de Mallarmé vient d’abord à l’esprit. Si nous laissons de côté la question du vers libre, liée au symbolisme, non seulemeni de fait, mais de droit (n’est-ce point le sentiment de l’idéalité du vers parallèle au sentiment de l’idéalité du monde ?), nul mieux que Mallarmé, par la nature de son génie et par le sens de son art, ne fut authentiquement un symboliste.

On ne le voit guère dans ses tout premiers poèmes. Les Fenêtres et le Sonneur sont construits exactement

  1. Le Livre des Masques, I. Préface.